Construit sur une île de l’Indre, Azay-le-Rideau est l’un des plus remarquables des châteaux de la Loire. Un joyau qui, de par sa construction au XVIe siècle, est inaccessible : marches pour rejoindre le rez-de-chaussée, escalier droit (au plafond par ailleurs remarquablement décoré) pour l’étage. Ni ascenseur ni élévateur fauteuil roulant ou autre aménagement non « destructif ». Azay-le-Rideau avait pourtant, à la fin des années 1990, reçu un Scalamobil, engin à roues engrenées qui permet à un fauteuil roulant de gravir les escaliers, mais les personnels avaient refusé de l’utiliser, invoquant les sempiternelles « raisons de sécurité » qui dissimulent nombre de discriminations et qu’invoquent également les partisans du moindre effort… Pourtant, à une cinquantaine de kilomètres de là, le personnel du Logis Royal de Loches utilise un tel Scalamobil sans que cela pose problème (lire ce reportage). Cette situation avait conduit le Centre des Monuments Nationaux, établissement public administratif de l’Etat, à étudier une mise en accessibilité considérée réalisable par son président, Philippe Bélaval : « C’est également le cas pour le château d’Azay-le-Rideau dans lequel je considère que l’on doit pouvoir aménager un ascenseur », déclarait-il dans nos colonnes en mai 2013. A l’époque, les travaux nécessaires étaient annoncés pour 2016, ils n’ont finalement pas été réalisés. Et voilà qu’en juillet 2018, ce château inaccessible se voit attribuer la marque Tourisme et Handicap moteur : par quel miracle ?
Parce que des solutions dites « d’effet équivalent », autorisées depuis la réforme de l’accessibilité par l’ordonnance du 26 septembre 2014 et un décret du 28 mars 2017, ont été mises en place, explique Nathalie Muratet, chargée des publics au château: « On a obtenu la marque Tourisme et Handicap, la loi nous oblige à prévoir des mesures compensatoires telle la camera obscura avec focus sur les oeuvres majeures du château dont les images sont projetées sur écran géant. Cela va de la vue d’une personne qui monte l’escalier, sa voûte, des lieux, etc. » Cette vidéo non interactive est diffusée dans une salle d’interprétation qui comporte d’autres éléments : vaste table miroir avec écrans restituant quatre états (16e, 17-18e, 19e et 20-21e siècles) pour replacer le château dans son époque, les arts, l’architecture, etc. Sur des cimaises sont accrochées des photographies détaillant des aspects particuliers, avec écrans tactiles à disposition pour lire les légendes des photos en réglant au besoin l’accessibilité d’affichage. Des dispositifs tactiles conçus pour les visiteurs déficients visuels (maquette du château, écorché du grand escalier, modules en relief de détails), un matériothèque des matériaux employés et une maquette de la charpente sont à la disposition de tous dans la salle du Pressoir. Un visioguide en Langue des Signes Française et une visite avec audiodescription sont en cours de création. « Nous proposons aux personnes en fauteuil de visiter le domaine sur deux parcours long ou court, poursuit Nathalie Muratet, parsemés de cartels permettant d’appréhender des aspects architecturaux du château, en plus d’un livret de visite. La commission de la marque Tourisme et Handicap a décidé d’accorder celle-ci au nom de ces solutions d’effet équivalent. On a beaucoup discuté en commission, au vu des solutions proposées il a été décidé d’accorder le label. »
Si les efforts de mise en accessibilité « alternative » du château d’Azay-le-Rideau sont louables, le résultat pose un sérieux problème de crédibilité : un monument historique reçoit la marque d’Etat qui garantit son accessibilité au handicap moteur alors que ce n’est pas le cas. La communication officielle en est le reflet exact : à l’heure où nous écrivons ces lignes, le site web du château ne mentionne pas clairement l’impossibilité d’accéder en fauteuil roulant. Résultat, des touristes handicapés moteurs risquent d’être déçus, frustrés et mécontents de devoir se rabattre sur une salle annexe pour visiter un château qu’on leur annonçait accessible parce que labellisé Tourisme et Handicap moteur ! Il sera intéressant de savoir comment, surtout s’ils sont étrangers, ils comprendront le palliatif des « solutions d’effet équivalent » et cette dialectique franco-française de l’inaccessibilité accessible. Surtout, l’emploi dans ce monument historique de telles « solutions d’effet équivalent » signe l’abandon d’une mise en accessibilité réelle que le président de l’établissement public qui le gère estime réalisable. Plus alarmant, d’autres propriétaires ou gestionnaires de tels monuments pourraient suivre cette nouvelle voie discriminante; dévalorisant un label gage jusqu’alors de qualité… et de réelle accessibilité.
Laurent Lejard, septembre 2018.
Qu’en pense le ministère de l’Economie et des finances qui assure la tutelle de Tourisme et Handicap ? Sa Direction Générale des Entreprises a adressé la veille de la publication de cet article ses réponses à deux questions.
Première question : La marque d’Etat Tourisme et Handicap peut-elle être attribuée à un établissement ou site qui pallie son inaccessibilité par des solutions d’effet équivalent ?
Réponse : La marque T&H s’inscrit dans le cadre de la législation en matière de sécurité et d’accessibilité. S’agissant de l’accessibilité, la marque intègre les principaux concepts et exigences issus du cadre législatif et réglementaire, au titre desquels la notion de « solution d’effet équivalent », introduite dans la réglementation en 2014. Une solution d’effet équivalent (SEE) n’est ni une dérogation (autorisation de ne pas faire ou de faire moins que ce qu’impose la réglementation), ni une mesure de substitution (mesure qui s’inscrit dans une situation d’accessibilité réduite ou dégradée). C’est une alternative technique, technologique ou architecturale qui rend le service ou l’usage prévu par la réglementation. Il s’agit de permettre l’innovation technique tout en répondant aux objectifs poursuivis par chacune de ces normes, usage par usage. En conclusion, la marque T&H peut être attribuée à un établissement mettant en oeuvre une ou plusieurs SEE.
Seconde question : Quelle information doit dans ce cas être diffusée au public ?
Réponse : La marque T&H constitue la reconnaissance d’une réponse « volontaire » apportée à la demande, à titre individuel, des personnes handicapées qui veulent choisir leurs vacances et leurs loisirs en toute liberté, sécurité et autonomie avec l’engagement d’apporter une information fiable et objective sur l’accessibilité des structures d’hébergement, des sites et des équipements touristiques. Il est ainsi précisé dans le Cahier des Charges T&H que « les difficultés à se conformer aux exigences de la marque T&H, par exemple en raison de la nature du terrain ou d’une contrainte exceptionnelle (site classé), devront être expliquées clairement dans le descriptif produit par les évaluateurs, ainsi que les aides humaines éventuellement prévues pour pallier ces difficultés. » [Ce cahier des charges n’évoque pas les solutions d’effet équivalent NDLR] En signant l’acte d’engagement Tourisme & Handicap, le gestionnaire d’un établissement labellisé T&H s’engage à respecter les documents contractuels de la Marque Tourisme & Handicap (règlement d’usage, les cahiers des charges le concernant, la charte graphique…) ce qui inclut l’obligation d’information fiable et objective notamment sur son site d’information. Pour ce qui concerne le Château d’Azay le Rideau, son site précise la situation : « Le château n’est pas accessible aux personnes en fauteuil (72 marches pour visiter le monument). En revanche, le parc, la boutique-billetterie et un espace d’interprétation sont accessibles et deux places PMR réservées sur le parking à gauche de l’accueil pour les personnes à mobilité réduite se déplaçant seules. Cependant, un ‘espace d’interprétation’ présente des dispositifs adaptés aux personnes en situation de handicap » [Ces informations ont été publiées après l’envoi de nos questions au ministère de l’Economie et des finances NDLR]. Avec ces éléments, le visiteur en situation de handicap est ainsi informé des conditions dans lesquelles s’effectuera sa visite du Château d’Azay-le-Rideau ainsi que des jardins.