Lancé lors du festival d’Avignon Off en 2000, Philippe Sivy apparaît à l’écran ce mois-ci dans la douzième saison de la série humoristique Vestiaires diffusée sur France 2, et dans une web série en huit épisodes, Handicops, sur France TV.
Question : Déjà plus de 20 ans de carrière, et plusieurs collaborations avec Anne Bourgeois, que vous appréciez particulièrement…
Philippe Sivy : C’est une amie. Anne Bourgeois est une metteure en scène merveilleuse. Elle ne met pas son ego en avant, elle est au service d’un projet, d’un texte avec des acteurs. Tout son travail, c’est de porter au maximum les acteurs dans ce projet, sans chercher à épater les gens par la mise en scène. Certains metteurs en scène la mettent en avant pour qu’elle se voie, pour se faire plaisir, parfois au détriment du texte, de ce qu’il raconte. Je n’ai pas été confronté à ce genre de metteur en scène. J’ai besoin de chercher l’humanité dans tout cela.
Question : Quand vous regardez votre carrière, qu’est-ce qui vous a particulièrement satisfait dans les rôles, les propositions au théâtre, au cinéma à la télévision ?
Philippe Sivy : Cinéma et télévision, le palmarès est assez maigre ! Il ne faut pas se leurrer, c’est toujours la problématique avec le handicap. Au théâtre, au-delà des rôles je n’ai pas eu à en souffrir. En 2000, à Avignon, j’étais dans une école de théâtre, je me posais des questions sur la suite, je me disais que ce ne serait pas forcément simple de jouer en fauteuil roulant. En fait, tout s’est fait simplement, presque naturellement. Je n’ai pas joué des milliards de spectacles mais je suis très heureux de ceux que j’ai faits, parce que chaque rôle était différent.
Pour la pièce Dans la solitude des champs de coton, une gageure pour un acteur, la mise en scène était originale, on jouait dans une vraie voiture, c’était presque du cinéma, j’ai trouvé ça passionnant. J’ai joué des rôles très divers et au fond, ce qui m’a plu dans tout ça, est-ce qu’il faut parler du handicap ou pas : dans la plupart de ce que j’ai fait au théâtre, j’en ai jamais parlé. J’ai fait ce dont j’avais envie, être dans des projets où on n’est pas là pour s’apitoyer, faire ce métier d’acteur pour ce que c’est, pour interpréter des personnages et puis après, le petit truc en plus c’est que je suis en fauteuil roulant. Donc ça se voit, donc effectivement, indirectement de toute manière j’en parle. En tout cas ça fait travailler les spectateurs et les spectatrices, « Ah tiens ! Pourquoi ? Est-ce qu’il est vraiment, est-ce qu’il est pas ? » et très rapidement ils oublient et entrent dans la pièce, on leur raconte une histoire qu’ils aiment ou pas, ils aiment ou pas les acteurs ou les actrices. Dans toute la période 2000-2010, tous mes projets n’ont pas été autour du handicap. Mais c’est vrai que par rapport à l’image [cinéma ou télévision], il a fallu quand même que je fasse des concessions; au début j’étais très borné. Pour l’image, le peu qu’on me proposait était tellement larmoyant, tout ce que je détestais en fait, je n’avais pas envie de cautionner ça. Sauf qu’à un moment donné, je me suis dit que si j’avais envie de faire de l’image, d’avoir cette expérience là, il fallait mettre son orgueil dans sa poche et puis se dire « OK, je vais être obligé d’accepter des choses qui à la base ne me conviennent pas, ne me plaisent pas. » Finalement, ça n’a pas été trop le cas, sauf avec Vestiaires où effectivement c’est le handicap.
Question : Ça semble montrer une différence de traitement entre le théâtre et l’écran cinéma et télé. Vous avez joué dans Plus belle la vie sans vous accrocher pour faire durer votre personnage au-delà d’une semaine…
Philippe Sivy : Ce n’est pas moi qui l’ai décidé, mais la production, les téléspectateurs qui accrochent ou pas. J’étais content que ça n’aille pas loin, c’est idiot de ma part d’ailleurs… J’étais un garçon un peu absolu dans sa manière de penser et de voir les choses, je le suis peut-être encore mais en même temps j’ai mis de l’eau dans mon vin. Et puis il ne faut pas non plus cracher dans la soupe ! A un moment donné, on a tous envie de travailler, on voudrait le faire dans des projets extraordinaires, et ce n’est pas le cas parce que c’est pas possible, il n’y a pas 36.000 génies parmi les réalisatrices et réalisateurs… Alors, si on a envie de continuer ce métier, il faut faire ce qu’on vous propose, et se battre aussi pour défendre ce qu’on nous propose, et le faire au mieux. Pour Plus belle la vie, je ne me suis pas défendu, j’avais une idée dans la tête : « J’en arrive là ! Oh mon Dieu ! » Mais je suis très content de l’avoir fait avec des gens adorables.
Question : Cet automne, on vous trouve dans Vestiaires et dans Handicops avec un rôle de flic flingueur, un cador avec son arsenal…
Philippe Sivy : Alexandre Philip a créé la série qu’il a réalisée, il joue dedans et également dans Vestiaires [le personnage d’Orson]. J’adore son univers, ce qu’il a fait est formidable, c’est décalé. Il a pris les archétypes du genre série policière, des mecs qui ont des flingues, font des courses poursuites. Et pourquoi une brigade « différente » ne pourrait pas avoir les mêmes aventures, et effectivement c’est totalement décalé, dans une autre dimension. Mais autant dans Vestiaires on est dans l’univers du handicap, dans l’humour mais dans le handicap constamment, avec Handicops les acteurs ont un handicap différent mais finalement on l’oublie très rapidement parce que les situations qu’Alex a créées font qu’on bascule dans autre chose. Il joue des archétypes policiers et de ce qu’est chaque personnage dans sa personnalité et dans son handicap. Très rapidement on l’oublie, on le dépasse, on passe à autre chose, on suit une brigade de bras cassés et comment ils vont pouvoir se débrouiller.
Question : On sent qu’Alexandre Philip a également brocardé les quelques séries avec policiers handicapés tels Astrid et Raphaëlle ou Caïn ?
Philippe Sivy : Je pense qu’Alex part du principe que si on fait une série policière comme Caïn avec un acteur qu’on met sur un fauteuil, pourquoi ne pas choisir et faire un casting où la personne est vraiment en fauteuil ? C’était vraiment son objectif quand il a créé sa série, on prend des acteurs qui ont le handicap qui correspond à ce qui est recherché. Et pour montrer qu’en fait oui, c’est faisable. Il a passé aussi du temps pour trouver les acteurs, parce que souvent c’est difficile. Il a cherché et trouvé de super acteurs, dont certains ont un CV sacrément rempli, comme Jean-Yves Tual. Alex a fait un pied de nez pour dire « vous n’avez pas envie de vous embêter à faire ça, vous n’avez pas envie de prendre un peu plus de temps pour essayer de trouver des gens qui sont vraiment en fauteuil roulant ou autres. » Et il reprend les codes pour montrer que ce n’est pas parce qu’on est dans une situation de handicap qu’on ne peut pas, en tout cas dans une fiction, être dans des situations comme la course poursuite en fauteuil, la prise d’otages. Tous les scénaristes et les producteurs diraient : « Non mais ça c’est pas jouable, en tout cas c’est pas jouable avec des gens qui sont dans cette situation-là ! »
Question : Pour en revenir à votre carrière, qu’est-ce que vous auriez aimé faire et qui vous aurait comblé ?
Philippe Sivy : Bizarrement, je n’ai pas de frustration. En termes d’images, on rêve des portes du cinéma, ça c’est un peu le Graal. J’ai eu deux expériences pour le cinéma, en 2006 dans Sauf le respect que je vous dois, de Fabienne Godet, et c’était bien parce que le casting était assez impressionnant. Au départ, le rôle était écrit pour justifier pourquoi il était en fauteuil roulant et puis après elle l’a réécrit et ne le justifiait plus, donc c’était très bien. Et j’ai fait une panouille dans le premier film de Franck Dubosc [Tout le monde debout, en 2016]. Rentrer dans l’univers du cinéma… Quels réalisateurs je pourrais nommer ? Quentin Dupieux, le duo Benoît Delépine et Gustave Kervern, tout cet univers et puis d’autres, Maïwenn, j’adore ses films. Ça serait l’étape d’après. Mais je ne sais pas si moi je connaîtrai ça, parce que ça reste compliqué, difficile de rentrer dans cet univers, parce que le handicap reste le handicap, et en image on reste toujours emmerdé avec ça, on ne sait pas trop quoi en faire et comment s’en débrouiller. Au théâtre, mon rêve, j’aurais adoré être un peu plus dans le théâtre subventionné, et puis la Comédie Française j’aurais adoré ça ! J’avais candidaté parce qu’elle avait ouvert des rôles à des acteurs hors Comédie Française, je n’ai pas été retenu.
Question : Donc ça veut dire que Trigorine en fauteuil, on peut le faire au théâtre, mais un équivalent au cinéma, on n’y est pas encore ?
Philippe Sivy : Non parce que les gens de cinéma pensent que le spectateur est un peu bête et donc on doit lui expliquer les choses quand une personne est en situation de handicap. Je vais prendre mon cas : « Pourquoi il est en fauteuil roulant ? » Alors il faut le justifier. Et oui, Trigorine n’est pas écrit pour un personnage en fauteuil roulant : quel est le problème ?
Question : C’est la différence avec des films ou séries anglo-saxons pour lesquels on va voir un personnage handicapé sans qu’on sache pourquoi ?
Philippe Sivy : Totalement. En France il faut le justifier, et éventuellement expliquer pourquoi le personnage est en fauteuil roulant, comment c’est arrivé. Effectivement, ils vont peut-être réécrire le scénario en disant « on ne va pas s’embarrasser avec ça. » Dans des propositions de casting, j’ai vu un rôle qui était vachement bien, on m’a répondu « c’est pas celui-là, c’est l’autre » et c’était effectivement bien marqué mec en fauteuil roulant, larmoyant, tout ce que je détestais. Pour défendre un truc pareil c’était coton parce que moi je ne pouvais pas. Et j’apprends que le fameux rôle que je trouvais super et bien écrit était pour un personnage qui se faisait passer pour un mec en fauteuil ! En fait, le spectateur, quand il voit un film, c’est quoi son truc : s’évader ? Est-ce qu’on s’évade quand on voit quelqu’un en fauteuil roulant ? Je n’en sais rien. Est-ce qu’un acteur ou une actrice qui est dans cette situation a la possibilité de faire une carrière comme une autre actrice ou un autre acteur ? Le fauteuil roulant, c’est marquant quand ça rentre dans l’image.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2022.
Philippe Sivy sera en juillet 2023 à Avignon Off dans la reprise de Sur le fil, pièce écrite et interprétée par Sophie Forte, en prélude à une tournée. Il participera également en mai et juin au spectacle de rue en tournée Ma montagne, avec la compagnie La baleine-cargo.