Les Français semblent faire la sourde oreille lorsqu’on leur parle de déficience auditive. D’un côté, surdité et malentendance ne sont pas suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics en terme d’information, de prévention et de prise en charge financière. De l’autre, parmi les personnes concernées par ce handicap, certaines, actives et réactives, ne sont pas écoutées, tandis que d’autres restent trop souvent négligentes et ne font pas l’effort de se diriger vers des solutions qui pourraient améliorer leur qualité de vie.
L’Association Nationale de l’Audition, qui organise chaque année au printemps une journée nationale de l’Audition (Prochaine édition le 17 mai 2001) propose quelques statistiques alarmantes. Aujourd’hui, la malentendance toucherait près de 8 % des Français, soit près de cinq millions de personnes en France dont 2 millions auraient moins de 55 ans. Elle menace un public plus large qu’on ne le pense : les personnes du 3e âge concernées par la presbyacousie (baisse naturelle de l’audition), les adolescents et adultes accros de concerts ou de baladeurs, victimes de troubles de l’audition, les ouvriers dans l’industrie ou dans le BTP travaillant souvent sans protection, les personnes touchées par les nuisances sonores (autoroutes, aéroports…) les jeunes enfants et même les bébés à la naissance (le dépistage systématique est inexistant).
15 % des Français concernés portent des aides auditives, contre 50 % au Danemark. 7 millions de Français vivent dans des zones de bruit excessif (autoroutes, voies de chemins de fer, aéroports) 1 Français sur 2 ne fait jamais évaluer son audition. 1 enfant sur 1000 et 1 adulte sur 10 est touché par des troubles d’audition. 30.000 à 50.000 jeunes et adolescents présentent des altérations graves ou sévères du système auditif. La déficience auditive était d’ailleurs la première cause de réforme au service militaire ! Les experts prévoient pour les années à venir 3.000 à 4.000 surdités professionnelles par an. Les personnes souffrant d’acouphènes (sifflements, bourdonnements) seraient en forte augmentation pour atteindre actuellement environ 2,5 millions de personnes.
Trois groupes distincts. Bernard Truffaut, sourd, directeur de rédaction d’Echo magazine, mensuel des sourds et des malentendants, et historien de la communauté sourde, classe les personnes atteintes de déficience auditive selon trois groupes distincts : le premier composé des personnes âgées touchées par la surdité « sur le tard » (environ 2,5 millions) ; le deuxième regroupant les malentendants et autres devenus sourds à un âge plus tardif, par exemple entre 5 et 50 ans, soit par maladie, soit par traumatisme, soit par agression de l’environnement (environ 2 millions) ; le troisième comprenant les sourds de naissance et les devenus sourds à un âge précoce (environ 100.000). « Dans toute approche de la surdité, il faut tenir compte de ses trois groupes et de leurs caractéristiques propres », explique- t- il.
Pour le premier, il s’agit de personnes âgées devenues sourdes ou plus ou moins sourdes, dont le besoin essentiel est d’être appareillées et de disposer d’amplificateurs, par exemple pour le téléphone. Le deuxième groupe rassemble ceux que l’on appelle généralement les « malentendants », bien qu’il y ait souvent parmi eux des sourds profonds. Devenus sourds après l’apparition du langage, ils parlent « normalement », ils ont pour la plupart du temps bénéficié d’une scolarité normale, ont acquis les bases du savoir, en particulier la langue française, et sont donc intellectuellement autonomes. « Si la prothèse auditive ou l’implant arrive à pallier leurs lacunes d’audition, ils sont également autonomes sur le plan de la communication, sinon, ils font de grands efforts pour lire sur les lèvres et pratiquent la communication écrite », précise Bernard Truffaut. « Ils tiennent à rester insérés le plus possible dans le monde entendant, et pour cette raison, n’acceptent pas pour la plupart d’être identifiés comme « sourds » et ne se sentent pas concernés par la langue des signes », ajoute- t- il.
Enfin, le dernier groupe rassemble ceux que l’on appelle les « sourds », autrefois les « sourds- muets ». « Eux, ils ont tout à apprendre, même à parler et à entendre », commente Bernard Truffaut. Ils suivent dès le début une éducation spécialisée qui prend des formes variables avec des résultats plus ou moins bons. « La plupart resteront toute leur vie handicapés par leur méconnaissance relative du français (on estime l’illettrisme chez eux à 70 %), ce qui constitue leur seul et véritable handicap, car pour le reste ils se débrouillent plutôt bien », explique- t- il. C’est principalement parmi eux qu’on retrouve les locuteurs de Langue des Signes Française (LSF), qu’ils apprendront dès leur plus jeune âge ou bien découvriront sur le tard. Ils s’identifient fortement comme « Sourds », avec un « S » majuscule. Explication de Bernard Mottez, sociologue de la Surdité : « on part du principe qu’on étudie une langue à partir d’une minorité linguistique, d’où la majuscule ». Ils ont une vie associative très importante et développent des créations culturelles propres liées à la langue des signes (théâtre, poésie, systèmes appellatifs, humour…). En schématisant la problématique, on pourrait dire que leurs principales difficultés sont liées à leur langue, peu pratiquée par l’ensemble de la société et toujours pas reconnue officiellement par les pouvoirs publics français.
Emmanuel Benaben, novembre 2000.