Des raisons d’ordre social et éthique. L’an dernier, un télescopage de manifestations Handicap, bien que non relevé par le grand public, a agité le microcosme associatif. L’Association française contre les myopathies (AFM), en partenariat avec France Télévision, avait retenu la date du 3 décembre pour organiser le Téléthon. Or, c’est cette même date, qu’avait choisie en 1993 le Conseil économique et social des Nations Unies pour appeler les gouvernements à observer une Journée internationale des personnes handicapées. Une simultanéité qui pouvait a priori sembler logique, mais qui n’était pas souhaitable, selon la Fédération Nationale des Sourds de France et le Groupement Français des Personnes Handicapées. « Nous reconnaissons à chaque association le droit d’organiser une manifestation caritative en faveur de la recherche médicale, à la condition que ce droit n’interfère pas avec l’action visant à la reconnaissance et à l’affirmation des Droits de l’Homme des personnes handicapées », indique Jean- Luc Simon, président du GFPH. « Or, la situation médiatique particulière rendue par l’organisation du Téléthon, en France et dans d’autres grands pays du monde, diffuse au grand public un appel qui détourne et affaiblit, à notre sens, le message de tolérance et de participation des Nations Unies », ajoute- t-il. Simple problème de calendrier ou querelle médiatique ? Le problème est plus profond et demeure d’actualité cette année. Il a pris une nouvelle dimension avec les progrès réalisés dans le domaine de la génétique et émeut en particulier la population sourde depuis la mise en place l’an dernier du test de la connexine 26 qui permet de diagnostiquer certaines surdités d’origine génétique. « Même si nous ne remettons pas en cause l’existence du Téléthon et son apport en faveur de la recherche contre certaines maladies, nous nous inquiétons de son parti pris médical et de la tendance sociale à vouloir éradiquer le handicap qui y est perceptible », explique, par exemple, Marie- Thérèse L’Huillier, sourde, rédactrice en chef de l’émission « l’Oeil et la Main » (diffusée sur La 5e) et déléguée de la FNSF au sein du GFPH. « Les recherches sur le gène responsable de la myopathie ne restent pas sans incidence sur les autres handicaps et il faut rester vigilant quant à leur application car ces recherches peuvent à terme représenter un danger pour nos communautés handicapées au niveau des droits de l’Homme », poursuit- elle.
« Fier d’être sourd » Le 21 octobre dernier, « l’Oeil et la Main » a d’ailleurs consacré son émission hebdomadaire au thème de la génétique avec ce titre révélateur : « La surdité en héritage« . Les témoignages ont laissé apparaître le sentiment d’appartenance à une culture, un patrimoine et une langue qu’ils souhaitent voir préserver et respecter, ainsi que la crainte d’une sélection génétique. « Que l’on soit sourds de génération en génération ou pas, nous sommes fiers d’être sourds et d’avoir des enfants sourds », affirmait par exemple une maman. Le risque d’avortement thérapeutique en cas de diagnostic prénatal de surdité est pour l’instant écarté en France. « Nous avons demandé l’avis du Comité national d’Éthique, explique Christine Petit, chercheur à l’Institut Pasteur. Ils nous ont indiqué que la surdité ne portant pas atteinte à la dignité des personnes, il n’y a pas lieu d’avoir recours à des avortements thérapeutiques ». « L’idée que l’on puisse faire des avortements thérapeutiques d’enfants sourds ne concernent pas que les parents et le médecin, cela implique toutes les personnes sourdes », corrobore Jacques Testar, biologiste et directeur de l’INSERM. « Dans cette situation, on peut se demander si, au lieu de systématiquement vouloir travailler sur les gènes, il ne faudrait pas plutôt développer au niveau social la tolérance, le goût de la différence et même la recherche de cette différence car il n’y a pas de culture qui naisse avec des gens identiques ».
Emmanuel Benaben, novembre 2000.