L’interprétation sur scène vue sous l’angle de l’interprète.
Le temps moyen de préparation est de deux semaines environ, consacré à la traduction ou plus exactement au travail d’adaptation du texte français vers la Langue des Signes. Cette partie importante du travail contient déjà en elle- même une part non négligeable de difficultés liées au travail à effectuer pour adapter un texte ancien ou du moins littéraire à la Langue des Signes et à la culture sourde.
Le travail de collaboration entre les interprètes et les comédiens est très souvent insuffisant quand il n’est pas inexistant. Ce manque de travail d’équipe, que cela soit entre les interprètes et les comédiens mais également avec le metteur en scène, met en exergue la non intégration des interprètes au spectacle. La pièce et l’interprétation se déroulent simultanément mais aussi parallèlement, sans véritable lien entre les deux.
En effet, les interprètes sont sollicités uniquement dans la phase finale des répétitions. A ce niveau- là, le travail est souvent ressenti comme superficiel et frustrant. Les interprètes souhaiteraient participer à la mise en place du spectacle dès le début et être véritablement dirigés par le metteur en scène comme les comédiens.
Ce type de travail semble donc intéressant à condition que les Interprètes soient réellement intégrés au spectacle. Cela permettrait certainement aux metteurs en scène motivés d’utiliser la présence des interprètes pour donner un relief ou une ambiance particulière au spectacle.
L’interprétation sur scène vue sous l’angle du public sourd.
Une distinction a pu être opérée entre des spectacles très visuels dans lesquels le jeu des comédiens privilégie l’expression corporelle, les mimiques faciales et dans lesquels la décoration, les jeux de lumière, les costumes ont une place importante et qui, de surcroît, comprennent peu de dialogues et, d’autre part, des pièces plus « littéraires » dans lesquelles la trame et le sens de l’histoire passent par les dialogues.
Dans le premier cas, l’interprète n’est pas sollicité en tant que comédien car le public porte son attention sur le jeu de scène et l’interprète est là pour lui donner quelques repères en traduisant les dialogues peu nombreux afin qu’il puisse suivre le cours de l’histoire. Il est tout de même primordial pour un confort « d’écoute visuelle » que les interprètes ne soient pas situés trop loin des comédiens et qu’ils soient également bien éclairés.
En revanche, en ce qui concerne les pièces littéraires, la lisibilité et la compréhension paraissent beaucoup plus hasardeuses. En effet, dans le cas ou les interprètes sont, pour des raisons techniques, situés assez loin des comédiens, il est presque impossible de suivre les interprètes tout en regardant de temps en temps le jeu des comédiens. Ainsi, si à un moment, une action sur scène interpelle le regard du public sourd, il perd la trame de l’histoire et peut difficilement rattraper ce qui se dit. Le confort d’écoute n’est donc pas satisfaisant car il est difficile de savoir qui regarder : les comédiens dont le jeu est vivant, qui sont costumés et en mouvement ou les interprètes qui sont juste là pour interpréter le sens de ce qui se dit et qui ont une place fixe ?
Si les avis concernant la difficulté de lecture d’une pièce littéraire interprétée sont similaires, par contre, ceux concernant le bien fondé d’un tel dispositif sont divergents. D’un côté, l’intérêt est celui d’une ouverture vers le monde entendant, sa culture, une façon d’avoir accès à des classiques du théâtre avec un certain plaisir. Ainsi, dans la mesure où les interprètes sont intégrés à la pièce, qu’un véritable travail d’équipe entre le metteur en scène, les interprètes et une personne sourde est mis en place afin que puisse être garantie une qualité d’adaptation pour le public sourd, ce style de spectacle est positif car favorisant un échange entre les deux mondes et les deux cultures.
Cette collaboration indispensable se manifeste également par le fait qu’à la fin du spectacle les interprètes sont invités pour venir saluer le public avec toute l’équipe. D’autre part, après le spectacle, un échange entre le public, les comédiens et le metteur en scène (échange conditionné par la présence d’interprètes), est un souhait du public sourd.
D’un autre côté, le bien fondé de l’interprétation des pièces littéraires est remis en question. La préférence revient au théâtre en Langue des Signes joué par des comédiens sourds et une interprétation vers le français pour le public entendant. Pour citer un exemple, une pièce : « Où est passé mon mari ? » écrite par une personne sourde et interprétée par des comédiens sourds a été représentée à Toulouse 4 fois. Le public entendant a pu profiter du jeu de scène des comédiens sourds, de la Langue des Signes dont l’essence théâtrale saute aux yeux, tout en ayant accès aux dialogues, au sens de l’histoire. Il s’agit à ce moment-là pour les interprètes ou les voix de faire ressortir la personnalité du rôle à travers le choix d’un timbre de voix, d’intonations, du choix d’un registre de langue…
Nous pouvons donc espérer qu’à l’avenir les metteurs en scène prendront conscience de la valeur théâtrale inhérente à la Langue des Signes et auront le désir de l’exploiter.
Catherine Charpin, octobre 2001
Avec l’aimable autorisation du Journal de l’AFILS.