En 1997, les associations de malentendants reçoivent un étrange courrier. Un publicitaire leur explique que faute d’avoir pu s’entendre (sic!) avec les fabricants et les audioprothésistes, il a décidé de travailler avec des associations pour organiser une « Journée nationale de l’audition » (lire également l’article que nous lui consacrions l’an dernier). Il précise que sa société, Arbonne de Laurencin Publicité, est « spécialisée dans les techniques de communication et de relations publiques sur l’audition ». Cette société est propriétaire de la marque Audition Conseil France utilisée par un réseau d’audioprothésistes auxquels elle fournit diverses prestations commerciales : droit d’utiliser la marque, agencement de magasins, etc. Dès sa création en 1998, il est clair que la JNA est une opération publicitaire au profit des audioprothésistes, la technique de la « journée » dissimulant le vrai bénéficiaire : aucune marque n’est citée. Dans le même genre, il existe Halloween et la Journée des grands- mères… Si des personnes sensibilisées par la JNA décidaient de faire contrôler leur audition, s’apercevaient d’une perte auditive et achetaient un appareil idoine, ce ne serait que par l’effet du plus grand des hasards. D’ailleurs, il est de notoriété publique que les audioprothésistes sont des bénévoles et que les appareils auditifs sont gratuits !
Les associations, qui ont un rôle de défense du consommateur sourd, ont pour la plupart refusé de cautionner la JNA; cependant, un groupement de malentendants, le Bucodes, y adhère pour tenter de compenser l’influence médiatique des sourds signeurs…
Pour bénéficier de subventions et de l’aide de services publics, il a été créé une « Association journée nationale de l’audition » (AJNA) qui se substitue officiellement à l’agence de publicité, tout en ayant ses bureaux à la même adresse, 81 rue de la République à Lyon (Rhône). Le conseil d’administration de l’AJNA est composé du journaliste-écrivain malentendant Jérôme Goust (président), du publicitaire Armand Arbonne (secrétaire général), de quelques médecins, d’une présidente d’association à titre personnel et d’un groupement associatif de malentendants (Bucodes).
Bien que ces associations réunissent des milliers d’adhérents, leur représentant ne dispose que d’une seule voix. Il est donc constamment en minorité. Alors que la représentante des associations se plaignait du manque d’information, le président lui rétorqua : « Tout a été fait dans les règles, si vous n’avez pas compris, c’est que vous êtes sourde ! (re- sic !) » Quant au budget, l’actuelle représentante des associations protestera qu’elle « n’a vu aucun document comptable digne de ce nom ». L’AJNA ne serait-elle que « l’oreille de paille » de publicitaires- commerçants ? La JNA est-elle une bonne affaire ? Le président de l’AJNA confie l’organisation de la Journée à l’agence de publicité dont le directeur et propriétaire est le secrétaire général de l’AJNA! Un juriste pourrait trouver là matière à dissertation…
Avec la caution morale d’associations de malentendants, l’AJNA a obtenu des subventions, en particulier d’une des plus grandes fondations humanitaires françaises, la Fondation de France! Services publics hospitaliers, entreprises publiques et privées, CNAM, CNAV, ministères, etc., s’associent à la JNA. Voilà du grand art commercial : tous les partenaires fournissent des prestations à titre gratuit au plus grand profit d’une agence de pub et des 534 audioprothésistes affiliés (chiffre 2002, ils étaient plus de 600 en 2001).
Aujourd’hui, des associations commencent à s’en mordre les oreilles, pardon les doigts : l’AJNA prend de plus en plus d’initiatives sans les consulter et il se pourrait bien que ces associations aient réchauffé en leur sein le serpent qui pourrait les avaler ! La déontologie et l’éthique sont ailleurs, dans la Journée mondiale des sourds par exemple, réellement associative, et qui a lieu chaque année en septembre.
J.V., mai 2002.