Les progrès techniques ont cet avantage particulier d’ouvrir des métiers à des personnes handicapées : qui aurait cru possible qu’une professionnelle sourde puisse travailler comme attachée de presse, métier dans lequel la parole et l’audition sont primordiales et l’usage du téléphone omniprésent ? C’est parce qu’elle est appareillée que Karine Muller- Marin a pu réussir dans son domaine malgré une perte des deux- tiers de ses capacités auditives : elle porte des prothèses numériques très performantes. A force d’expérimentations, elle a trouvé des postes téléphoniques qui lui conviennent parfaitement; au bureau elle emploie un Bang et Olufsen modifié par un audioprothésiste et intégrant une boucle magnétique, en déplacements elle utilise un mobile Siemens dont elle apprécie la clarté du son. Ces téléphones éliminent les interférences avec les prothèses auditives ainsi que les bruits parasites. La forte progression de la communication par documents électroniques l’aide également beaucoup.
Karine Muller-Marin travaille au sein d’une importante agence de communication, T.B.W.A, comme consultante en relations presse. Son activité est essentiellement centrée sur les services et produits de santé. Dans un environnement calme, Karine travaille confortablement. Dès qu’il y a du bruit ambiant, sa perception auditive devient confuse et douloureuse. Cette gène du bruit, elle la ressent aussi dans ses activités personnelles, lors de repas amicaux par exemple, et elle préfère s’isoler. Professionnellement, elle rencontre parfois des difficultés lorsque ses appareils ont des problèmes techniques ou une panne de pile. Elle n’annonce pas immédiatement à un nouveau client qu’elle est sourde, « certains ne le savent même pas ».
Le parcours de Karine a été difficile et c’est probablement à cause de cette difficulté qu’elle a mis la barre très haut: travailler dans un métier de communication verbale. « Ma malentendance est acquise de naissance. L’écoute de la musique, les cours de langue sur magnétophone ont été des véritables calvaires. Parce que j’avais des difficultés à comprendre la parole, on m’a dit que j’étais bête, j’étais considérée comme une handicapée mentale. Quand j’ai été appareillée, on m’a dit que j’entendais; ça ne marche pas comme ça! ». C’est le médecin scolaire qui a dépisté la surdité de Karine. Elle voulait, à la fac, se former au droit afin de mieux le faire connaître aux sourds. Durant cette période, Karine a connu une forte crise identitaire qui l’a conduite à apprendre la langue des signes et à évoluer parmi les sourds signeurs. Elle s’est investie dans des associations de sourds au point de redoubler son année de licence et d’atteindre un point de rupture: l’une de ses amies, qui formait des sourds au Droit, passait plus de temps à recevoir des critiques sur son niveau de pratique de la langue des signes qu’à donner ses cours !
Face à une difficulté de communication qu’elle n’attendait pas, Karine a choisi de se réorienter: « Ça me sortait de partout, j’ai choisi l’impossible, la communication »… Tout en doutant, elle a passé le concours d’entrée à l’Ecole française des attachés de presse (Efap), organisme privé dont les cours sont onéreux. « Les débuts ont été pénibles, j’étais la dernière. J’ai demandé une dispense de cours et alors j’ai cartonné. J’ai rédigé mon mémoire de fin d’études sur les audioprothèses, j’ai trouvé mon premier emploi dans ce secteur. Très vite, des organisations professionnelles ont primé mon travail, j’ai pris confiance en moi ». Entrer dans une grande agence a été assez facile. « J’ai été soutenue par une de mes professeurs à l’Efap, Catherine Dedieu- Lugat [lire ce portrait]. La pêche, les résultats et l’expérience ont fait le reste. Ce n’est que quand la décision de m’embaucher a été acquise que j’ai annoncé ma surdité et ça a ravi mon employeur qui a pu bénéficier des aides prévues pour l’emploi d’un travailleur handicapé ».
Si Karine travaille dans une grande entreprise de communication, elle conserve une grande autonomie d’action. « Ce qui m’a touché, c’est l’ouverture des gens. Mais c’est à nous, les sourds, de nous adapter ».
Laurent Lejard, novembre 2003.