Le dépistage des handicaps est inscrit dans le droit français depuis la loi d’orientation du 30 juin 1975 : » La prévention et le dépistage des handicaps […] constituent une obligation nationale » (in article 1). Cette disposition, comme bien d’autres de cette loi en cours de réforme, n’a été que partiellement mise en oeuvre. Dans ses 115 propositions remise au Premier Ministre Lionel Jospin en juin 1998, Dominique Gillot rappelait que le dépistage de la surdité est systématique pour les nouveaux-nés « à risque » (surdités d’origine génétique notamment). Elle insistait sur la nécessité d’accompagner ce dépistage précoce d’un soutien psychologique des parents pour les amener à accepter la déficience de leur enfant et faire le deuil de l’enfant idéalisé. Dominique Gillot évoquait l’utilité d’une éducation de l’enfant associant étroitement sa famille, et ce dès le plus jeune âge, sans attendre l’entrée à l’école primaire ou dans l’enseignement spécialisé. Mais, curieusement, l’auteure oubliait alors de préconiser un dépistage systématique des troubles auditifs chez tous les nourrissons.
Le Docteur Lucien Moatti (Hôpital d’enfants Armand Trousseau, Paris) oeuvre en faveur de l’éducation précoce des enfants sourds depuis 1963: « L’idée du dépistage est ancienne, il a été institué par une circulaire du Ministère de la Santé en 1977. Mais les pouvoirs publics n’ont pas donné les moyens nécessaires, de ce fait les médecins gynéco- obstétriciens et les sages- femmes ont été réticents ». Depuis, les techniques exploratoires ont évoluées, le dépistage précoce de la surdité est fiable, les matériels actuels assurent des tests probants qui limitent à 5% le nombre de résultats douteux nécessitant une vérification complémentaire.
Ancien Ministre de la santé et des personnes handicapées du deuxième gouvernement Raffarin, Jean- François Mattéi avait relancé en février 2004 l’idée d’un dépistage de tous les nouveaux-nés; ce programme commence à être déployé dans quelques départements. Mais son succès demeure suspendu à la formation des professionnels de santé et au financement des appareils d’évaluation de l’audition, selon Lucien Moatti qui rappelle que le dépistage systématique de la surdité chez les enfants à risque n’était qu’une préconisation, pas une pratique généralisée. « Actuellement, il naît chaque année 750 enfants présentant une surdité sévère ou profonde, il est nécessaire que l’annonce de la surdité soit faite par des professionnels formés qui puissent l’expliquer aux parents, leur apporter un soutien psychologique et des informations sur les prises en charge thérapeutiques et éducatives, et les orienter ».
Pour sa part, le président de l’Unisda (Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif), Jérémie Boroy, estime qu’en « choisissant de confier le chantier du dépistage de la surdité au seul corps médical sans y associer les associations représentatives de personnes sourdes et de parents, on prend le risque de rester dans une logique de ‘réparation’ de la surdité. Quels que soient les choix qui peuvent être faits en matière d’éducation et de communication pour les enfants sourds de naissance, la découverte tardive de leur surdité contribue de façon claire aux situations d’échec rencontrées par certains. Toutefois, dans le cadre du projet actuel d’expérimentation du dépistage néo natal systématique, l’Unisda craint que la démarche consiste seulement à mettre en place un processus de dépistage sans remettre en cause le fonctionnement de la prise en charge des enfants sourds. Or, l’enjeu d’une telle ambition serait de remettre à plat les pratiques actuelles qui contribuent elles aussi aux situations d’échec connues ». L’Unisda place les Centres d’Information sur la Surdité au centre du dispositif espéré d’information des familles et de prise en charge sociale comme éducative.
« L’enfant ne naît pas toujours sourd, mais souvent malentendant, estime Marc Renard, de l’Association 2-AS (ex-section de l’ARDDS devenue indépendante). Nous avons le sentiment que certains enfants, dont certains en difficulté scolaire, sont des malentendants ignorés. Leur surdité, souvent légère à moyenne, passe inaperçue, mais peut provoquer des situations de handicap dans certaines circonstances : mauvaise acoustique (fréquente) des salles de classe, réunions de famille bruyante, jeux en groupe… Ces enfants ne bénéficient pas d’une prise en charge adaptée et leur surdité peut être confondue avec d’autres pathologies. Le nombre d’enfants concernés est inconnu en l’absence de dépistage précoce systématique ». L’A.R.D.D.S est favorable au dépistage systématique des surdités chez les nourrissons tout en attirant l’attention sur la nécessité d’une guidance parentale effective. « Une mère qui ignore que son enfant est malentendant agit normalement, elle parle à son enfant, lui chante des chansons, lui raconte des histoires etc. L’enfant ne perçoit pas tout, mais il en tire quand même un bénéfice. Au contraire, des parents sous le choc de l’annonce de la surdité, laissés seuls, sans aide, sans soutien, risquent de couper toute communication avec l’enfant malentendant, de le rejeter plus ou moins consciemment, de s’en ‘débarrasser’ en le plaçant dans un internat, etc. Il y a de très nombreux et désolants témoignages de parents à ce sujet ». L’Association préconise à cet égard une « ergothérapie de la communication, c’est-à-dire une équipe pluridisciplinaire capable de prendre en charge les personnes touchées par une surdité et leur famille. Nous rêvons d’orthophonistes, voire de psychologues si besoin est, qui assisteraient à un ou deux repas de famille, conseilleraient l’institutrice de maternelle lors de la rentrée, etc. ».
Après que le diagnostic aura été posé, viendra le moment du choix éducatif et de l’éventuel appareillage. Ce dernier point est sujet à d’interminables et virulentes polémiques dès lors que l’on évoque l’implantation cochléaire, et il sera intéressant d’aller entendre comment les professionnels l’aborderont ou l’éluderont. L’ACFOS (Action Connaissance Formation Surdité) a ainsi pris comme thème : « Dépistage systématique de la surdité : changer les pratiques » pour son 5e Colloque international qui se déroulera à Paris les 3 et 4 décembre 2004.
Jacques Vernes, novembre 2004.