Février est traditionnellement le mois du Carnaval… et des amoureux, ce sont ces derniers que France 5 met à l’honneur, plus précisément les sourds amoureux, dans trois documentaires de 26 minutes proposés dans l’émission L’Oeil et la Main. Dans ce cadre, Florent Gassita présente trois couples comportant un sourd signeur et un oraliste, pour apprécier l’impact de la querelle linguistique dans le quotidien de la relation amoureuse. La voix off qui introduit le film « Seulement pour le meilleur » nous dit qu’entre sourds signeurs et oralistes, c’est la guerre. « Dans les relations amicales, estime Florent Gassita, il y a toujours quelques conflits suite à la différence des deux communautés, sourds signants d’un coté, et de l’autre sourds oralistes ».
Le documentariste nous présente trois couples d’âges et d’horizons différents. Trentenaire, Bruno (oraliste) vit depuis 8 ans avec Brigitte (signeuse) « issue de trois générations de sourds signeurs ». Si les enfants entendants de Brigitte, nés d’une précédente union, sont naturellement bilingues français- langue des signes, Bruno doit signer en famille. « Quand il parle avec les enfants, raconte Brigitte, je me sens exclue ». Elle se plaint qu’ils régressent en langue des signes du fait de leur expression orale dans leur vie sociale et avec leur quasi beau- père. Bruno, qui s’estime plus ouvert d’esprit que sa compagne, qualifie Brigitte de « sourde pure et dure » rejetant les entendants; elle confirme préférer rester entre sourds, et se tournant vers Bruno conclut par un : « le principal, c’est que les sentiments soient là »…
Le conflit linguistique ne semble pas exister chez Nicolas et Laurence, qui viennent d’avoir un bébé et préparent leur déménagement. Laurence parle et aime parler, elle estime que la parole aide Nicolas dans ses relations sociales. Tous deux sont sociables, entourés d’amis et de parents qui les aident à déménager sans que la langue soit un souci. Est-ce une question de génération, les jeunes étant plus ouverts que leur aînés ? Pour Florent Gassita, « l’amour, chez les sourds oralistes/ signeurs, n’a pas changé depuis des générations. Dans la relation amoureuse, les deux communautés acceptent la différence de la communication, s’arrangent pour se faire comprendre ».
Nous replongeons dans le conflit avec Viviane et Simon, quadra- quinquagénaires. Elle était encore oraliste quand elle rencontra Simon, signeur érudit en langue des signes et militant, comédien et metteur en scène à l’International Visual Théâtre (I.V.T). Simon pensait que leur relation ne durerait pas; une de ses collègues signeuse évoque son a priori linguistique même si elle considère que « c’est leur histoire ». Les amis de Simon estimaient que l’idylle n’aurait qu’un temps, parce qu’il signait et qu’elle parlait. Pourtant, l’amour a triomphé, chacun s’enrichit, l’un en français, l’autre en langue des signes. Même si Viviane pense toujours en français et le traduit en signes alors que Simon parle une L.S.F pure.
Donc, en amour, les sourds arrivent à s’entendre. « Dans un premier temps, les sourds oralistes sont rejetés par jalousie par les sourds signants parce qu’ ils ont une meilleure intégration, estime Florent Gassita. Et dans un deuxième temps, les sourds oralistes ont des idées préconçues au sujet des sourds signants, alors que certains ont l’esprit ouvert. Ainsi, pour mettre un terme à ces conflits et aux débats sans fin, la solution est de respecter les uns et les autres, tout en sachant que nous venons de la même origine sourde ». Lui- même sourd signeur, Florent Gassita demeure imprégné par le communautarisme sourd, une manière de rester dans un monde à part tout en revendiquant en direction des entendants une meilleure intégration sociale.
Laurent Lejard, février 2005.