Le Printemps des poètes déploiera, du 3 au 23 mars prochains, une série de spectacles mettant en action des interprètes sourds et entendants. La programmation de Silence Poésie (programme complet à télécharger) est variée, à Paris comme en Régions.
La Compagnie In Time présentera à Lyon et Paris un travail expérimental sur des textes du poète italien Cesare Pavese, Exil, un titre que reprend la thématique générale du Printemps des poètes 2008 : « Les écrits de Cesare Pavese ne sont pas très gais, explique Carine Pauchon, metteure en scène et fondatrice d’In Time. Ils témoignent d’un étrange rapport de l’homme à la femme, à laquelle l’auteur reproche de vampiriser l’amour sans avoir d’existence dans la société. Pour lui, la femme a le pouvoir sur l’homme; on sent qu’il a été élevé par des femmes ». Les textes choisis pour Exil présentent trois étapes de la vie du poète : son enfance et son éveil à l’écriture, l’amour puis la mort selon Pavese. Outre le français oral, les deux premières sont interprétées en Langue des Signes Française, la troisième en Langue des Signes Internationale.
« Toutes mes créations sont bilingues, poursuit Carine Pauchon. La compagnie recherche en permanence de nouvelles formes d’expression en recomposant le rapport de l’individu à chaque partie de son corps ». C’est un parcours de recherche, un laboratoire dans lequel se confrontent sourds et entendants, ainsi que des chercheurs, pour définir des parcours non parlés, dans la recherche d’un autre langage : « Cela force les entendants à faire des efforts et à remettre en cause leurs apprentissages ». In Time rassemble des artistes sourds et entendants pratiquant la langue des signes : « Traduire des textes artistiques en langue des signes s’avère très complexe, nécessitant une étroite collaboration entre sourds et interprètes. Les sourds ont remarqué que l’on faisait un travail de qualité sur leur langue, par la recherche artistique, et ils sont au rendez-vous de nos spectacles ».
Autre compagnie dont l’approche est tout aussi intéressante, Clameur Public se définit comme un « mouvement artistique en voix et en signes » mêlant un comédien sourd (Levent Beskardes), une lectrice publique entendante (Frédérique Bruyas), une comédienne entendante et signante (Estelle Aubriot) et une chanteuse (Annie Mako) également auteure et créatrice des projets de la compagnie. Pour Silence Poésie, leur choeur promènera poèmes et chansons à travers les bibliothèques de la Ville de Paris : « On s’appuie sur son réseau, ses bibliothécaires et animateurs sourds ou pratiquant la langue des signes, explique Annie Mako. On collabore étroitement avec Marie Boccaccio, pionnière de l’accueil des sourds dans les bibliothèques parisiennes ».
Ce sont des rencontres avec des sourds qui ont fait découvrir à Annie Mako un monde qu’elle ne soupçonnait pas : la mise à l’écart des sourds, la répression qu’a subie la langue des signes, l’oralisation forcée, etc. « J’étais programmatrice de spectacles dans un centre d’animation de quartier du 10e arrondissement. Je suis allé voir un spectacle mixte, avec le comédien sourd Laurent Valo, j’étais fascinée, j’ai eu envie de répondre à des besoins, il n’y avait pas à l’époque de lieu de rencontre entre sourds et entendants ». En octobre 2005, elle a créé un atelier, « En forme de bruits » à l’Espace Jemmapes, une activité désormais pérennisée. Et chaque vendredi soir, à partir de 20h, sourds et entendants se rencontrent dans une « Auberge espagnole » où chacun apporte ce qu’il peut pour un moment de partage et d’échange, boire, manger et communiquer. « Après avoir repris des études en sociologie de la culture, j’ai eu envie de créer un choeur qui clame la parole citoyenne mêlant sourds et entendants, pour valoriser la Langue des Signes Française et son émotion. On travaille les textes d’auteurs vivants, que l’on peut rencontrer, auquel on montre leur texte signé pour qu’ils portent un autre regard dessus. On redécouvre une oeuvre en la traduisant, pour 15 à 20 lignes on peut travailler ensemble durant trois heures. Et l’interprétation finale devant l’auteur est un moment privilégié ».
Laurent Lejard, février 2008.