Vasiliy Bubnov est né sourd en 1984, d’un père lui-même sourd et d’une mère entendante, à Ivanovo, ville moyenne située à 250 km de Moscou. Élevé dans un environnement familial bilingue russe-langue des signes, il a été éduqué dans une école spécialisée qui ne comptait que des enfants sourds. Il a poursuivi au collège, et s’est orienté vers un C.A.P de menuiserie, le métier de son père. « J’ai grandi en Russie jusqu’à la fin du régime soviétique, raconte Vasiliy Bubnov. Quand la télévision a déversé des images de l’Occident, ça m’a donné envie d’aller en Europe, dans un pays riche ! »
Il a finalement suivi un ami sourd qui venait en France, pour connaître le pays et sa culture, avoir un autre niveau de vie. Il se rappelle encore cette date gravée dans sa mémoire : le 8 avril 2004. « Je ne suis pas triste ni nostalgique de la Russie. J’ai envie, même si ce n’est pas facile, de participer à la vie sociale en France ». Dès son arrivée, Vasiliy Bubnov s’est fait des amis slaves à Paris avant d’aller à Tours (« sans même avoir vu la tour Eiffel ! » s’amuse-t-il), puis Poitiers, au contact de la communauté des Sourds, et finalement Limoges où il vit maintenant. Avec les entendants, il communiquait par le mime, un art qu’il travaille et pratique depuis l’enfance, avec la magie, le cirque, le jonglage, le clown. Dès 4 ans, il faisait de la danse et du théâtre, se souvient-il. Il a appris la couture et a fabriqué ses costumes de scène, le dessin, la peinture, les arts martiaux… Tout cela, en école spécialisée et à l’extérieur, durant ses années russes, un acquis qui est la base de son travail théâtral d’aujourd’hui.
A son arrivée à Limoges, Vasiliy Bubnov a voulu s’intégrer à la vie sociale, en participant à un atelier de théâtre au sein de la Compagnie ParOles, qui présentait alors des spectacles parlés et signés, ce qu’elle ne fait plus depuis 2009. Et Vasiliy Bubnov a logiquement suivi le mouvement de scission de cette compagnie qui a débouché sur la création de Singuliers Associés, qui travaille sur la surdité et la cécité en proposant des ateliers théâtraux dédiés. « On a repéré un talent, dit de Vasiliy Bubnov le directeur de Singuliers Associés, Philippe Demoulin. On l’a fait travailler en co-animation, puis en semi-professionnel et maintenant en professionnel. »
Le premier spectacle de Vasiliy Bubnov date de 2007, avec la Compagnie ParOles : « Vagabondages », résultat de trois années de formation acharnée. Pour sa compagnie, Vasiliy Bubnov se fait à la fois comédien et « propagandiste » de la Langue des Signes Française lors d’ateliers de sensibilisation en milieu scolaire : « J’ai le sentiment qu’elle est ma première langue, davantage que la langue des signes russe dont le vocabulaire est différent et la grammaire proche. Cette langue des signes russe est riche, mais n’a pas assez évolué. En Russie, le Congrès de Milan qui a interdit la langue des signes à partir de 1880 n’a pas eu d’impact, la langue des signes a continué à être pratiquée en restant au même niveau, une communication du quotidien, sans profondeur intellectuelle ou philosophique ni développement linguistique. Un de mes projets est de revenir en Russie pour aller discuter avec les Russes. »
Si son parcours est remarquable, ses débuts en France ont été particulièrement difficiles, une galère qui l’a contraint à dormir dans une voiture pendant un mois, à se nourrir grâce aux Restos du Coeur… Durant 6 mois, il a dû vivre avec une allocation de 45€ mensuels, le temps de déposer une demande d’asile, d’être aidé par l’ASSEDIC, d’obtenir une chambre dans un foyer. Au bout d’un an, il a enfin eu sa propre chambre, mais toujours pas de travail. Au bout de 2 ans et demi d’efforts, il a commencé à travailler avec ParOles.
Obtenir un titre de séjour a été d’autant moins simple que Vasiliy Bubnov rencontrait de gros problèmes de compréhension avec l’interprète russe, une langue qu’il ne connaît quasiment pas. Il a vécu l’angoisse du refus et du risque d’expulsion. Seule son embauche au sein de la Compagnie ParOles lui a permis d’obtenir des papiers en règle. Il se projette désormais dans l’avenir, d’abord en poursuivant avec Singuliers Associés son travail de comédien et de formateur en LSF, et avec le désir d’aller en Russie pour contribuer à ouvrir les sourds à la connaissance, à acquérir la liberté de signer alors qu’ils sont réticents à le faire en public : « 70% des sourds russes s’expriment peu et ont des difficultés à se reconnaître en tant que citoyens », estime-t-il. Vasiliy Bubnov voudrait ouvrir les entendants au monde des sourds, et créer des ponts entre la France et la Russie : « Venir en France m’a ouvert au monde, j’ai envie de le faire partager aux Russes ! »
Laurent Lejard, juillet 2011.
Vasiliy Bubnov participera au festival Souroupa (29 au 31 juillet 2011 dans les Alpes-Maritimes) en créant la version finale de « Pataquès », une pièce mise en scène par Ramesh Meyyappan et Philippe Demoulin.