Au Mali, on recense environ 350.000 personnes déficientes auditives. Elles représentent à elles seules un tiers des personnes handicapées et leur déficience est survenue essentiellement suite à une méningite. La surdité est assez répandue mais très peu de personnes ont un appareillage auditif; il n’est pas accessible financièrement, l’entretien est rendu particulièrement délicat du fait des conditions climatiques (chaleur, humidité, poussière), l’infrastructure ORL est minimale. La création de classes spécialisées est, de ce fait, devenue une nécessité. Le Mali compte actuellement huit structures capables d’accueillir cette population. On les nomme, pour la plupart, des Ecoles pour Déficients Auditifs (EDA). Il en existe une à Sikasso, Koutiala, Kita, Ségou et deux à Bamako (une sur chaque rive du Niger) ainsi qu’à Tombouctou. L’Association Malienne des Sourds (AMASourd) a contribué à la création de ces écoles et notamment celles de Bamako.
La première école du Mali fut construite en 1994 dans la capitale, quartier de l’Hippodrome. Cette EDA dirigée par Balla Keita, reçoit environ 230 élèves en premier et second cycle. En 1998, une deuxième école voit le jour, Jigiya Kalanso, dans le quartier Niamakoro. Cette année scolaire 2012-2013, l’école accueille de nombreux nouveaux élèves. Son effectif augmente : 158 élèves sont déjà inscrits. Il semble qu’il y ait aussi une quinzaine d’enfants en pré scolaire, dirigé par Moussa Sanogo.
Culturellement et institutionnellement, la langue des signes constitue un fondamental pédagogique. Bien que le Mali soit un pays francophone, on y enseigne la langue des signes américaine (ASL). Tout au début, à Jigiya Kalanso, les enseignants utilisaient la langue des signes de Bamako (Bambara) et à l’EDA de l’Hippodrome, un mélange de langue des signes bambara, française et américaine. Il n’y avait donc pas de langue des signes commune aux deux écoles. Comme la plupart des pays de la sous-région utilisait l’ASL, c’est celle-ci qui a été adoptée.
Cette unification a permis de faciliter la communication entre les Sourds à Bamako-même, et aussi dans l’ensemble du Mali. Malheureusement, la maîtrise de cette langue est très contrastée, et plus particulièrement chez les enseignants spécialisés.
Les représentations du Sourd.
Généralement, les parents découvrent par eux-mêmes la surdité de leur enfant, avant tout diagnostic médical. La plupart de ces parents ne savent pas qu’il existe des écoles spécialisées. Bien souvent, ces enfants se retrouvent dans la rue. De plus, ces parents ne cherchent pas et ne savent pas comment communiquer avec cet enfant « différent ». Les Sourds sont généralement mal perçus par les entendants (y compris les enseignants en charge d’enfants sourds !) du fait de l’ignorance qu’ils ont de ce handicap. La surdité est une « singularité » qui rejaillit sur son entourage. Elle affecte la personne sourde mais aussi sa famille, ses proches. En famille, elle est alors très souvent rejetée, mise à l’écart. La personne sourde passe souvent pour avoir des capacités intellectuelles réduites. Le Sourd est habituellement considéré comme inapte, incapable de s’intégrer socialement et il ne lui reste bien souvent que la mendicité.
« Je n’étais jamais prévenue, ni informée d’évènements familiaux par exemple, raconte Oumou, enseignante sourde signante à Jigiya Kalanso. Dans mon entourage familial, personne ne s’intéresse et n’apprend la langue des signes. Au Mali, les Sourds ne sont pas invités car on ne peut pas parler avec eux. Le Sourd est souvent pris pour un incapable. Il fait peur à cause de sa voix particulière. Il y a des regroupements d’enfants sourds aux halles à Bamako mais aussi à Ségou et à Sikasso. En pays Dogon, les adultes sourds sont assez bien intégrés. »
Soutien associatif français.
En janvier 1999, l’association Sous le Signe de Bamako (SLSB) créée à Angers (Maine-et-Loire), a initié une action de partenariat avec l’AMASourds, afin de favoriser et développer l’éducation des jeunes sourds à Bamako.
SLSB ciblait principalement son action en direction de l’école Jigiya Kalanso, l’EDA à l’Hippodrome étant déjà aidée par une autre association, Angata (dissoute en 2009). Cette organisation rationnelle permettait une complémentarité et une meilleure répartition de la mobilisation des ressources humaines et matérielles.
Les membres de l’association SLSB sont, pour la plupart, des professionnels de la surdité et partent régulièrement sur place. A l’origine, le partenariat portait sur une aide matérielle et un soutien à la formation (pédagogie, éducation auditive). Les besoins en matériels étaient rudimentaires et l’association a fourni crayons, livres, papeterie, supports d’enseignements divers (jeux) et matériels informatiques. Concernant la formation, il s’agissait dans un premier temps d’une aide directe auprès des enseignants qui ne bénéficient au Mali d’aucune formation professionnelle spécialisée auprès des Sourds. Les professeurs qui arrivent dans ces structures ne pratiquent pas forcément la langue des signes et ne connaissent pas les problématiques liées à la surdité. Par la suite, l’association a élargi ces champs d’action et a mis en place un programme de mesures audiométriques systématiques pour tous les enfants déficients auditifs de l’école afin de constituer un dossier médical pour chacun d’entre eux.
En 2010, suite aux premières années d’expériences et pour pallier le manque d’enseignants spécialisés qualifiés, il a été décidé de réorienter l’action en formant des formateurs locaux : l’ambition était de créer un cercle vertueux où les participants pourraient alors transmettre leurs connaissances à d’autres professionnels et faire ainsi évoluer l’enseignement spécialisé des Sourds au Mali. Les directeurs et des enseignants des EDA de Bamako, de la région de Ségou et de Sikasso ont bénéficié de cette formation.
En 2011, la Fondation Novartis a entrepris un projet d’appui à la scolarisation des enfants déficients auditifs dans la région de Ségou. L’association SLSB participe à ce projet pour sa connaissance du terrain et ses compétences pluridisciplinaires, et a mis en place des missions intermédiaires. Ce sont nos partenaires maliens, Moussa Sanogo et Balla Keita, directeurs des EDA de Bamako, qui ont formé les équipes enseignantes sous forme d’ateliers, d’échange avec validation, sous la supervision de Fofana Labassé, de la Fondation Novartis sur Ségou.
En octobre 2012, était prévue à Ségou une session de formation pédagogique en Histoire-Géo et Mathématiques, organisée par SLSB, ainsi qu’un travail de manipulation et d’utilisation des jeux envoyés par l’association. Malheureusement, du fait du contexte général au Mali, la maison du Partenariat Angers-Bamako n’accueille que des séminaires locaux et n’est pas rouverte aux Français pour le moment. Ce sont donc nos partenaires maliens Moussa Sanogo et Balla Keita qui sont partis à Ségou, organisant des séances d’observations dans les classes le matin et l’après-midi une remédiation en pédagogique ainsi que des cours de langue des signes. Suite à cette intervention, il a été suggéré que les enseignants de Ségou puissent venir observer Moussa Sanogo et Balla Keita dans leurs classes à Bamako.
Lors de prochaines missions, l’association SLSB souhaite continuer à mener des actions de formation auprès des formateurs locaux et les aider à fonder un programme de rencontre entre professionnels de la surdité. Elle espère ainsi contribuer au développement de l’enseignement spécialisé des jeunes sourds au Mali. L’association a parallèlement rencontré des responsables de l’enseignement au Mali pour demander d’instaurer des modules de sensibilisation à la surdité dans les instituts de formations des maîtres (IFM). Reste également le souci majeur des adultes sourds, celui de l’insertion dans le milieu professionnel. Les offres d’emplois sont limitées et l’intégration professionnelle très difficile à mener. Dans cette perspective, l’association soutient l’école Jigiya Kalanso qui a l’ambition de créer une section de formation professionnelle, destinée aux jeunes gens qui se trouvent au seuil de la vie active.
Si malheureusement, compte-tenu des événements graves qui se déroulent au Mali, la poursuite des engagements de SLSB est compromise pour cette année, l’association reste concertée en tant que partenaire.
Stéphanie Pouyat-Houée, SLSB, février 2013.