Un petit théâtre au fond d’une cour, de grands tapis sur la scène, une chanteuse, un guitariste, une chansigneuse, voici Je le les signe tous, spectacle témoignant des joies, désirs, douleurs d’une femme. Il y a un peu du vécu de Mathilde (révélée au grand public lors de sa participation à The Voice) dans ses textes coécrits avec Alexis Pivot, qui racontent les premiers émois, les rondeurs, le regard des hommes, ce que représente et symbolise le corps des femmes. Textes qu’elle interprète en duo avec la chansigneuse Maylis Balyan. « J’avais déjà vu du chansigne, et j’avais des amis sourds qui pratiquaient la LSF pendant mes années lycée et à la fac, confie Mathilde. Etant auteur, je me disais qu’il serait intéressant de traduire mes chansons en LSF. En cherchant, j’ai découvert le chansigne. Tout était possible, la vidéo, le live, pour proposer une traduction instantanée des chansons de l’album précédent et les rendre accessibles aux sourds et malentendants. C’est quand j’ai rencontré Sylvia Roux, du théâtre Hébertot à Paris, que j’ai commencé à parler du projet. Elle m’a dit ‘ça m’intéresse, c’est un projet de scène, je peux t’offrir des dates ».
Mathilde a demandé à Colombe Barsacq, qui a déjà elle-même chanté en duo chansigné, de co-mettre en scène son spectacle, et c’est ainsi que Maylis s’est trouvée impliquée : « Quand on m’a proposé ce duo, raconte-t-elle, on m’a envoyé trois chansons. Elles m’ont plu, j’ai dit oui tout de suite, c’était dans mes fibres. L’univers de Mathilde est militant, mais ce n’est pas juste Mathilde, on s’y reconnaît toutes. Quelque part en tant que femme sourde, c’est ma façon de participer, on est toutes les deux sur le même front. » Colombe Barsacq appuie ce propos : « Ces textes sont à la fois militants mais présentent aussi l’évolution d’une adolescente vers sa vie de femme. C’est aussi l’histoire d’une adolescente de 38 ans, Maylis. De cette universalité-là, ce passage à l’âge adulte, aboutir à la magnifique femme que tu es. Ce que tu portes est beaucoup plus grand que la parole des sourds, c’est un pas vers les entendants. »
Elaboré depuis de nombreux mois, « Je les signe tous » se retrouve au coeur de l’actualité : harcèlements de rue à Paris et ailleurs, affaire Sarah à Pontoise, scandale mondial Harvey Weinstein et ses conséquences, les femmes et leur corps restent maltraités dans nos sociétés. « On vit dans une société plutôt machiste et phallocrate, constate Colombe. Les femmes demandent un rôle non négociable, on voit qu’il y a une inversion des valeurs, des hommes qui prennent conscience de leur responsabilité et de leur capacité à agir. » Qu’en pense Maylis ? « C’est difficile pour nous de se faire entendre parce qu’on est mal informées et que l’illettrisme est important chez les sourds. Par exemple un truc tout bête : comment arrêter d’avoir des enfants, beaucoup de femmes sourdes ne savent pas ! Il existe une espèce de déni lié à la surdité. Moi, j’ai la chance d’avoir échappé à l’agression, par mon milieu social. » Et elle a rejoint Mathilde dans son combat pour les femmes, en allant chanter avec elles lors du rassemblement parisien de la place de République, le 29 octobre dernier: « On a chanté ensemble, moi en hauteur sur un banc étroit en étant maintenue aux hanches par un homme costaud, s’en amuse-t-elle encore. Je suis passée du désert au foisonnement d’images. Avant, j’étais juste une nana, maintenant un bel arbre, une forme d’épanouissement qui m’a faite passer en peu de temps de la femme adolescente à la femme adulte qui s’assume. » A aller voir et entendre à Paris jusqu’en janvier prochain, et probablement en régions dans les mois suivants.
Laurent Lejard, octobre 2017.
Je les signe tous, de et avec Mathilde, mise en scène de Mathilde et Colombe Barsacq, avec également Maylis Balyan, Vladimir Médail et Antoine Laudière (en alternance). Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris (salle accessible). Tous les samedis à 17h00 jusqu’au 6 janvier 2018.