Le lancement le 16 décembre 2013 de Surdi Info ne s’est pas effectué en douceur (lire cet article). Il remplaçait les Centres régionaux d’information sur la surdité (CIS) que la tutelle d’Etat estimait défaillants : couverture partielle du territoire national, sempiternelles querelles de chapelles, lacunes de gestion et d’objectivité, la liste des griefs plus ou moins démontrés était longue. Plutôt que de former des professionnels dans les régions, la tutelle étatique a préféré tirer l’échelle et confier l’information sur la surdité à un service national reposant sur un site Internet et une plateforme téléphonique. Le pari semble réussi, le service Surdi Info confié au terme d’un appel d’offres à la Fondation OVE (Oeuvre des Villages d’Enfants) a oeuvré et s’est développé tranquillement, dans un climat apparemment dépassionné. Responsable du pôle surdité de la Fondation OVE, Yves Béroujon expose le bilan d’un service qui cumule site d’informations pratiques, infolettre, plateforme téléphonique et visio LSF, communication directe par tchat et infos événementielles via Facebook et Twitter.
« Le site Internet Surdi Info a été consulté 700.000 fois depuis sa création. Il comporte environ 400 articles thématiques avec un bon référencement naturel. » Un chiffre plutôt faible quand on le rapporte aux près de six millions de Sourds et malentendants, et davantage encore en moyenne quotidienne : 380 visites par jour. Pendant ses deux premières années, le site a reposé sur un référencement payant qui n’est plus nécessaire, même si la consultation a baissé l’an dernier du fait de la mise en ligne en avril de la deuxième version de Surdi Info et de la mise en place obligatoire du Règlement Général de Protection des Données (RGPD). « La révision des articles publiés a permis de les doubler en Langue des Signes Française, 98% d’entre eux le sont, ça doit être unique en Europe. Chaque modification entraine une version vidéo LSF. On avait construit rapidement la première version du site à la demande du ministère [de tutelle]. La V2 a été élaborée, elle, par un comité éditorial constitué en 2015 actuellement composé des neuf personnes qui travaillent pour Surdi Info et représentent toutes les sensibilités. » C’est-à-dire les différentes composantes de la population des personnes sourdes ou malentendantes, que l’on retrouve dans le comité de pilotage du CNIS auquel participent les associations nationales représentatives à l’exception de celle des personnes sourdaveugles : « Il définit les grandes orientations. On a une relation fluide avec les associations, sans enjeu de pouvoir, avec la volonté de rendre un meilleur service. C’est ce comité de pilotage qui a demandé la création d’une infolettre diffusée tous les mois depuis octobre 2015. Elle vise les professionnels, sur les droits, l’actualité administrative et scientifique. Elle compte 700 abonnés et chaque texte contient un lien vers la version vidéo LSF. » Ce sont également les associations qui ont défini l’utilisation des réseaux sociaux : « Elles ont considéré que des infos sur des événements peuvent être diffusées sur Facebook, essentiellement. »
Élément pourtant structurant de Surdi Info, la plateforme téléphonique apparaît peu utilisée avec toutefois une progression régulière : 1.700 sollicitations en 2017, un peu plus de 1.800 probablement en 2018, tous médias confondus. Cette plateforme utilise en effet cinq techniques : le téléphone 0812 040 040 et le Tchat du lundi au vendredi (hors jours fériés) de 9h à 19h, le courriel via un formulaire de contact, le SMS 06 13 70 49 77 et la visioconférence en LSF un jour et demi par semaine. « Elle est contactée par 35% de personnes sourdes ou malentendantes, les 65% restant sont des appelants de l’environnement de ces personnes, des parents, des proches de personnes âgées. Peu de professionnels appellent. » Le CNIS n’effectuant pas de statistiques plus précises, on ne peut apprécier le nombre de parents venant s’informer après avoir appris la surdité de leur enfant, ce qui ne permet pas de mesurer l’impact du dépistage néonatal systématique des troubles auditifs (lire l’actualité du 14 novembre 2014). Les appels portent d’abord sur la baisse brutale de l’audition, puis les causes de la perte auditive, la scolarisation, l’appareillage et les implants, les aides techniques, la rééducation et l’orthophonie, la recherche d’associations, la santé (acouphènes, vertiges, etc.), les droits et démarches. « La plateforme travaille en trois temps : on prend la demande, qui n’arrive pas toujours directement, il faut prendre le temps d’écouter, elle peut être longue à formuler. Puis on apporte une réponse, directement ou en effectuant des recherches ce qui nécessite un suivi. On doit chercher des réponses de proximité, sur les territoires, en tenant compte des changements, des évolutions. Le résultat enrichit nos bases de données. »
Cette approche réduit à 70% la part de suivi, et contribue à maintenir la pertinence des infos publiées en ligne. Elles sont actualisées et alimentées par une documentaliste qui travaille à temps-plein pour vérifier, effectuer une veille info, et s’appuie sur le comité éditorial et des expertises externes. « L’annuaire est vérifié mensuellement, et les articles en fonction de l’actualité. » Mais un délai d’environ trois mois est nécessaire pour élaborer un article : par exemple, celui qui doit présenter les centre-relais des conversations téléphoniques lancés le 8 octobre 2018 reste à publier.
Ce qui laisserait penser que Surdi Info manque de moyens. Cela n’est pas l’avis d’Yves Béroujon : « On a des moyens suffisants, parce que la V2 est opérationnelle et qu’on fait surtout de l’actualisation, de l’enrichissement de bases de données. Nous n’avons pas de besoins supplémentaires. » De quoi ravir la tutelle d’Etat en quête permanente d’économies, comme l’avait mis en évidence le député Adrien Quatennens (France Insoumise) en relevant dans une question écrite une baisse de subvention (lire l’actualité du 4 septembre 2018) : « À l’ouverture, le Centre national s’est vu attribuer 420.000 euros. La subvention pour 2018 se situe aux alentours 343.000 euros contre 360.000 votés au [projet de loi de finances]. Cette baisse de l’engagement de l’État dans le projet inquiète fortement les associations de personnes sourdes et malentendantes, qui ont par ailleurs publiquement adressé un courrier le 11 décembre 2017 à Madame la ministre. » Laquelle avait alors répondu que « le montant de la participation de l’Etat, au regard des comptes rendus annuels, est adapté à l’activité réelle du site. » Une péripétie qui n’empêche pas Surdi Info de préparer la création d’un service d’écoute par un psychologue, afin d’améliorer l’orientation vers des organismes spécialisés. « On ne reçoit pas de signalement de maltraitance, conclut Yves Béroujon, mais des appels de personnes très isolées du fait de la surdité. On s’est aperçu que ces deux dernières années des gens très en détresse appellent. On doit être en capacité de les orienter vers un acteur de terrain. L’association locale est une bonne réponse, mais il faut la trouver. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2019.