L’exposition L’Histoire Silencieuse des Sourds, du Moyen Âge à nos jours, inaugurée au Panthéon le 18 juin dernier et qui s’achèvera le 6 octobre, est organisée par le Centre des Monuments nationaux en partenariat avec l’association des Amis de l’abbé de l’Épée, l’Institut National des Jeunes Sourds (INJS) de Paris et International Visual Theatre (IVT). Elle se tient parallèlement au XVIIIe Congrès de la Fédération Mondiale des Sourds au Palais des Congrès (Paris, 23-27 juillet), qui avait pour thème Le droit à la langue des signes pour tous.
Sous la houlette de son commissaire Yann Cantin (Sourd), avec la collaboration étroite de Sandrine Rincheval (Sourde) des Monuments nationaux, et d’Emmanuelle Laborit (Sourde) d’IVT, l’exposition retrace d’abord l’histoire de la Langue des Signes Française (LSF) et de la communauté qui la revendique depuis plus de deux siècles, d’où la majuscule à Sourds, pour les distinguer des sourds-parlants, devenus-sourds et autres. Voilà pourquoi cette histoire est silencieuse, pour ne plus dire muette puisque ses sujets s’expriment dans un autre registre. Son installation au Panthéon est hautement symbolique, « la Patrie reconnaissante » reconnaît donc et légitime ainsi la langue des signes, à défaut de n’avoir pas encore accueilli l’abbé de l’Épée, une revendication toujours en cours, ou des personnalités spécifiquement Sourdes. La proximité de l’abbé Grégoire, pourfendeur des langues régionales afin d’imposer la seule langue française sur le territoire, ne manque pas de sel…
Dans son discours d’inauguration de l’exposition, Yann Cantin, date oblige, s’est inspiré de l’appel du 18 juin pour « résister » et « continuer le combat » en faveur d’une langue officiellement reconnue, visible médiatiquement mais dont l’accès et la pratique restent de fait limités. Il a évoqué rapidement l’exposition organisée à la Chapelle de la Sorbonne en 1989 (bicentenaire de la mort de l’abbé de l’Épée) par Alexis Karacostas. Ce fut en effet le premier coup d’envoi à cette histoire méconnue, accompagnée d’un riche catalogue, Le Pouvoir des Signes, de conférences et de débats prolifiquement réactifs. L’événement avait été précédé par la parution en 1983 chez Payot du premier livre militant grand public sur le sujet par Christian Cuxac, Le langage des sourds. Ces moments clés s’inscrivaient dans la foulée du Réveil Sourd, initié en France notamment par Bernard Mottez, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales, et de l’ouverture de quelques rares classes d’enseignement en LSF.
De 1989 à 2019, quelles ont été les avancées au profit de la communauté des sourds signeurs ? Le bilan qu’en dresse Yann Cantin n’est guère optimiste et il renvoie aux racines de cette histoire, complétant les éléments exhumés il y a trente ans de nouveaux documents qui confirment le clivage produit principalement par le « progrès médical », présenté comme une réponse à une volonté eugéniste généralisée autant qu’un monopole décisionnaire menaçant cette communauté : « L’idée du progrès est pour les Sourds une régression, un déni de leurs droits les plus élémentaires, ce dans une période où les progrès scientifiques les plus étonnants ont eu lieu : le XXe siècle. » « Attachés viscéralement à leur langue, c’est ce qui les définit », non la surdité. Pour lui, et cette communauté à laquelle il appartient, la langue des signes est « ce qui leur a permis d’entrer de plain pied dans la société française et de contribuer aux grands progrès de l’Humanité ». Porté par son enthousiasme, il affirme que « la langue des signes [française ou LSF], [est] née à Paris, au cours du Moyen Âge, comme le français ». Elles se seraient « côtoyées, […] sans se connaître ». Un point sur lequel on aurait aimé des références précises, comme il y en a pour le reste de l’exposition, ainsi qu’une analyse. C’est ensuite « une longue suite de combats, de défaites, d’avancées et de reculades ». Et de drames concrets sous le nazisme. « Les progrès technologiques après les deux guerres mondiales ont été de profondes entraves pour les Sourds dans leur inclusion sociale et professionnelle. » La « normalité médicale […] a failli conduire à la destruction de cette culture et de cette langue » stigmatisées, jusqu’au Réveil sourd. « Dans les périodes où cette langue est acceptée, on assiste à des progrès chez les Sourds. On assiste à des destinées brillantes, étonnantes, fascinantes. »
« C’est le fil conducteur de cette exposition : l’importance de la langue des signes dans l’insertion sociale du Sourd, et donc de l’éducation de l’enfant sourd. Ce combat est loin d’être terminé ! Rien n’est encore acquis. […] Sans la présence sourde et l’influence de la langue des signes, l’humanité présenterait un visage différent. » Si le militantisme peut « aveugler » partiellement l’analyse historique, il est en soi un témoignage, et l’exposition offre à cette occasion de nombreux et précieux documents à travers les siècles, certains déjà connus des initiés, d’autres à découvrir jusqu’aux premiers enregistrements filmés de LSF tirés des archives de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). À voir donc !
Aude de Saint Loup, août 2019.
L’Histoire Silencieuse des Sourds, du Moyen Âge à nos jours, jusqu’au 6 octobre 2019 au Panthéon, place du Panthéon à Paris (5e). Accessible à tous les visiteurs handicapés (crypte des tombeaux inaccessible et toilettes non adaptées). Dossier pédagogique téléchargeable.