Ruben tape dur sur sa batterie pendant que sa compagne Lou chante. Ils parcourent les États-Unis de club en club dans un vaste camping-car jusqu’à ce que Ruben subisse des acouphènes en plein concert, puis perde l’audition. Verdict : surdité sévère définitive due au bruit excessif, il jouait sans protections auditives. La première solution qu’il repère est de se faire poser rapidement un implant cochléaire mais il lui faut des dizaines de milliers de dollars. Déprime et rechute dans la drogue, Lou le quitte et son manager l’envoie dans un centre de désintoxication pour adultes sourds. Il y refera surface et apprendra à communiquer par la langue des signes, sa vie pourrait changer. Mais il parvient à vendre son camping-car, se fait implanter et doit affronter sa nouvelle audition…
Tel est l’argument de Sound of Metal, qui sort sur les écrans mercredi 16 juin. Un film nominé six fois aux Oscars et finalement récompensé deux fois, meilleur montage et son. Il confrontera les spectateurs à l’impact d’une implantation cochléaire et aux espoirs qu’elle suscite alors qu’elle ne restitue qu’une audition imparfaite, parasitée de nombreux bruits métalliques.
Quelques dirigeants de la Fédération Nationale des Sourds de France ont vu ce film en avant-première
« C’est un beau film indépendant, à la fois émouvant, réaliste et authentique, décrivant un angle de vue du personnage principal : Ruben, devenu-sourd. L’acteur Riz Ahmed remplit très bien ce rôle, il a du talent… Ce film plongera les spectateurs dans une expérience unique d’un devenu-sourd et de ce qu’il perçoit du monde extérieur avec ses émotions et ses comportements.
Le message véhiculé de ce film est la confrontation d’un choix du devenu-sourd :
- Apprendre à être Sourd afin de passer une vie pleine de sérénité en utilisant une belle langue naturelle : la langue des signes ;
- Ou essayer de « revenir à la normale » dont le prix à payer est d’entendre des « sons métalliques » issus de l’implant cochléaire (d’où le titre « Sound of Metal »).
La FNSF tient à rappeler le fait que l’implant cochléaire ne permet pas de retrouver l’audition de départ ! La plupart du corps médical se plaît à dire « vous ré-entendrez avec l’implant cochléaire ». Or ce film démontre à quel point il est difficile pour un devenu-sourd d’accepter de se faire opérer, d’entendre des sons métalliques et, entre autres, de suivre des conversations simultanées. En somme, de retrouver une vie antérieure.
C’est pourquoi, la FNSF n’est pas en faveur de la pose d’implant cochléaire chez les nouveau-nés, comme le stipule l’Organisation des Nations-Unies qui demande à la France de « retirer les déclarations interprétatives relatives au paragraphe 1 de l’article 15 de la Convention » Internationale relative aux Droits des Personnes handicapées (Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique). Nous avons des raisons de croire au fait qu’il faut considérer que l’article 15 ne permet pas que soient pratiqués, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, des actes médicaux visant à une implantation cochléaire sur un enfant inapte à y consentir. En effet, l’implantation est un acte irréversible.
Le film omet néanmoins de nombreux éléments permettant d’identifier la Culture Sourde, perceptibles par les spectateurs : appel physique ou lumineux, compréhension orale de façon unilatérale, vibrations… En effet, les Sourds, y compris les devenus-Sourds vivent avec les sens sensoriels développés comme la vue et le toucher, et en tirent profit dans leur quotidien.
Le public pourrait également s’interroger sur la ghettoïsation des Sourds : il faut savoir en effet que le centre aux États-Unis, dans ce film, est tout d’abord un centre dédié aux toxicomanes pour une cure et un isolement. Ce centre est adapté aux Sourds mais ce n’est pas un centre pour isoler les Sourds ! Le public pourrait ne pas comprendre les réactions des personnes accueillant Ruben, du fait d’un manque de contexte, de connaissance de la Culture Sourde. »
Nicolas Becker : « Un film qui a du sens »
Question : Comment avez-vous travaillé la bande son pour restituer la surdité puis l’implantation cochléaire ?
Nicolas Becker : Je savais que la première devrait être naturaliste. J’entends par là que quand les tympans ne fonctionnent plus, on continue à recevoir des informations vibratoires par les tissus et cavités osseuses. C’est un son qu’on appelle solidien, qu’on peut capter. Je peux placer un micro solidien sur mon crâne, et quand vous me parlez j’enregistre les résonances de votre voix dans ma boite crânienne. Le cerveau en fait une information qui complète le son. C’est quelque chose qu’on connaît très bien pour toutes les personnes qui ont vocalisé. Sur un film, j’ai fait travailler des gens qui avaient des problèmes d’audition, ils avaient découvert la vocalisation et la résonnance des sons dans son corps. Quand on est né Sourd, le cerveau n’est pas capable de l’associer à du chant, mais c’est une sensation en tous cas. La première partie du film est basée sur cette idée-là : qu’est-ce que c’est l’audition quand on enlève les tympans ? Sur la partie cochléaire, j’ai travaillé après discussion avec des adultes nés entendants puis devenus sourds, qui savent ce qu’est le son et savent décrire la sensation. J’ai basé mon travail sur des documents produits par des personnes qui n’ont qu’un seul implant cochléaire et qui sont capables de décrire le son qu’il restitue. Des audiologistes ont également fait des modélisations d’implants pour faire comprendre aux entendants ce que c’est. Je savais qu’il fallait que je crée un son qui, à la différence du premier, n’est pas partagé, qui n’est connu que par les gens implantés. C’est presque un travail de fiction, il fallait que ce son ne soit pas reconnaissable. Je me suis tourné vers le son granulaire, peu utilisé dans le domaine de l’audio. Distorsion de la guitare, de la voix, la reverb, le delay, plein d’effets qu’on connaît, qui font partie de notre culture musicale : j’ai voulu fabriquer des sons inconnus pour mettre les spectateurs dans cette situation de se dire « je ne connais pas cette sensation. »
Question : C’est la première fois qu’on ressent l’implantation cochléaire…
Nicolas Becker : Bien évidemment c’est un film, et j’ai autour de moi des personnes implantées qui m’ont dit « c’est exactement ça » et d’autres « c’est pas tout à fait ça ». J’ai reçu beaucoup de messages de gens qui me disaient « c’est formidable, j’ai pu enfin faire comprendre à ma famille dans quel monde je vivais. » [Sound of Metal a été diffusé aux USA sur Netflix avant les salles de cinéma à cause de la pandémie de Covid-19 NDLR]. C’est touchant pour moi, je n’ai eu que des retours positifs.
Question : Votre travail a été récompensé par le titre le plus important, un Oscar…
Nicolas Becker : Je suis très content parce que ce film raconte quelque chose d’important. C’est un film indépendant, le son n’y est pas spectaculaire avec des explosions, des coups de feu, d’énormes bruits. C’est aussi un travail sur l’écoute, le silence, la perception, les sensations. Je suis très content d’avoir reçu un prix sur un film qui a du sens.
Laurent Lejard, juin 2021.