Embryonnaire au siècle dernier, le chansigne apparaît de plus en plus lors de spectacles musicaux, soit en adaptation soit en pure création. L’une des pionnières de cet art, Laëty, effectue une nette distinction entre le chansigne d’accessibilité, où des interprètes sont en bord de scène pour traduire les paroles et « ouvrent » le concert aux spectateurs sourds, et d’adaptation : « Là je suis intégrée au groupe de musiciens, on travaille ensemble avec le chanteur, et sur la mise en scène et en lumière. C’est un travail en commun entre la musique et le chansigne. Le chansigne de création est, lui, directement conçu en langue des signes. On y ajoute une accessibilité [pour les entendants] au choix de chaque artiste. » Les chansignes d’adaptation et de création exploitent les ressources de l’iconicité de la langue des signes pour en accroître l’expressivité : « Pour la poésie, l’iconicité est l’un des fondamentaux. Quand on parle du chansigne, il faut vraiment sortir de la traduction. La traduction, ça se passe au bureau et au quotidien, pas sur scène ni en public. »
Laëty évolue dans les musiques actuelles, rock et hip-hop, et la chanson française : « Je suis une grande amoureuse de Piaf ! » C’est par le hip-hop qu’elle a rencontré le danseur sourd Adamo Sayad il y a une vingtaine d’années : « On a commencé à échanger, il faisait déjà du chansigne en création, moi je débutais dans le chansigne d’adaptation. En novembre 2020 pour Hip-Hop Symphonique, faire équipe était envisageable, il était naturel de l’appeler. » Danseur sourd, Adamo Sayad a débuté le chansigne dans les années 1990 en parallèle à la danse : « Avec Laëty et sa structure Sign&Mouv, on a une visée plus professionnelle. On fait du coaching pour améliorer la traduction du français vers la langue des signes, pour que la parole, la musique, le rythme soient bien rendus. La création en langue des signes est également un travail de recherche. Le chansigne peut être du rap, de l’opéra, tous les styles. » Ce qui se retrouve dans l’interprétation, la poésie de chaque chansigneur, avec sa sensibilité et son expressivité.
Et également selon les publics, enfants, jeunes ou adultes : « Je travaille sur le corps dans sa globalité. Je bouge de haut en bas, alors que d’autres gardent les pieds plus ancrés au sol. Les yeux, la vision me permettent d’appréhender le monde, tout passe par le visuel et le regard. Et j’aime bien la musique avec des vibrations ; la musique classique et les violons sont moins intéressants parce qu’ils produisent moins de vibrations. » Contrairement à la batterie, aux percussions dont son corps perçoit bien le rythme. Au fil de sa pratique, Adamo Sayad est devenu danseur chansigneur, comme en témoignent ses vidéos en ligne. Il travaille également avec des enfants autistes, sur le regard, et des personnes handicapées motrices sur la mobilité du haut de leur corps.
Si le chansigne est pratiqué en France depuis plusieurs décennies, Laëty estime qu’il n’est pas encore reconnu, presque undergroud : « Avant 2000, quand j’allais voir des matches de football de Sourds, pour moi les supporters faisaient du chansigne ! Quand l’équipe qu’on encourageait avait gagné, on bougeait les mains avec un certain rythme, tous ensemble. C’est de là que viennent mes inspirations. » Initiée à la Langue des Signes Française à Nantes (Loire-Atlantique) qui était alors un désert culturel pour les Sourds, elle est ensuite partie à la rencontre de tous ceux qui avaient envie de créer ensemble, Sourds et entendants. « Selon les régions, on a des disparités énormes du fait des choix politiques. Dans le Grand-Est, par exemple, à Belfort, je le sais pour avoir travaillé aux Eurockéennes, qu’il y a un interprète LSF pour tout le département ! On laisse les Sourds dans un isolement social, ils participent aux activités qu’on leur donne. Quand je vois la différence et les sujets sur lesquels échanger avec des Toulousains et des gens de Belfort ! On me dit de ralentir ma langue des signes, à Besançon et Dijon également ! »
Laëty espère une reconnaissance du chansigne par le ministère de la Culture : « Ce métier a des besoins spécifiques. Je suppose qu’au tout début de la chanson, le micro est venu après, pour chanter toujours plus loin. Dans le chansigne on en est là, on doit encore travailler les aspects techniques, pour une meilleure réception par le public et un meilleur confort de travail ; la captation vidéo des visages et leur projection sur grand écran pourraient permettre aux spectateurs sourds d’être n’importe où dans la salle et de recevoir le message, sans ghetto placé devant pour qu’ils voient bien. » Elle évoque également les progrès considérables des effets de lumière dont pourraient bénéficier les chansigneurs : « Il faudrait pouvoir créer des laboratoires avec des artistes sourds pour étudier comment on pourrait mieux découper le corps du chansigneur grâce à la lumière, envoyer les informations sur le rythme, le style de la musique, l’instrument. » Adamo Sayad rappelle qu’il milite depuis 25 ans pour la pleine reconnaissance de la langue des signes : « Depuis quelques années, ça s’améliore. On aura les Jeux Olympiques en 2024, j’espère qu’on aura droit à du chansigne, à de la langue des signes, à de la danse, pour que le monde voie que la France a une certaine valeur, une certaine qualité au niveau de la langue des signes et de la représentation des personnes sourdes. »
Laurent Lejard, janvier 2023.
Avec le soutien de la Fédération Française de l’Accessibilité