Ce soir, c’est Macbeth que la troupe du Français joue dans sa mythique salle Richelieu. Ou plutôt une adaptation de la pièce de William Shakespeare, au texte amputé et à la mise en scène assez ésotérique, éloignée du drame politico-fantastique et sanglant d’un couple ambitieux. C’est aussi l’occasion de tester le système individuel de surtitrage et Langue des Signes Française diffusés sur des lunettes connectées, développé par le spécialiste franco-allemand Panthea et que la Comédie Française propose désormais pour tous les spectacles joués salle Richelieu.
Voir l’action et lire le texte
Le procédé combine préparation et action en temps réel : « On utilise un fichier de surtitrage où tout le texte est découpé en français, explique Amandine Marco, coordinatrice accessibilité chez Panthea. D’un côté on a le texte en anglais, ou en français adapté pour les spectateurs sourds ou malentendants (SME) et comportant la description des sons. Pour la langue des signes, des fichiers vidéos sont envoyés à des moments précis pour signer le texte ; elle est presque synchronisée, parce que la vidéo n’a pas la même vitesse d’exécution que ce qui est dit sur scène et varie chaque soir. »
C’est en régie que sont lancées les différentes séquences de surtitres et LSF. Le spectateur les reçoit sur un petit boîtier électronique dont l’écran assure les réglages ainsi que la diffusion, après sélection, des surtitres ou de la LSF. Ce boîtier est relié aux lunettes sur les verres desquelles sont projetés surtitres ou LSF qui ne sont alors vus que du spectateur, sans la gène visuelle pour les autres d’un écran éclairé qu’il vaut d’ailleurs mieux retourner ou masquer.
Ce qui surprend, c’est l’efficacité de la projection : on voit net, même avec une presbytie obligeant à utiliser des lunettes pour lire. Là, on peut s’en passer et apprécier l’action scénique tout en lisant les surtitres. La vidéo LSF est également parfaitement nette. La taille des caractères et leur couleur, ainsi que la luminosité d’affichage sont réglables. On peut opter pour des surtitres en français, français adapté avec code couleur SME, ou anglais, et les positionner en bas ou en haut des comédiens, pour mieux adapter le résultat à la position que l’on occupe dans la salle puisque ce procédé fonctionne depuis n’importe quel siège.
Le système permet également l’audiodescription à destination de spectateurs aveugles ou malvoyants, mais pas à la Comédie Française qui fait appel, pour quatre spectacles par saison, à Accès Culture afin d’audiodécrire en direct. Panthea.live correspond à une vraie demande de spectateurs déficients sensoriels : « Pour les représentations de l’opéra Così fan tutte au Châtelet, on avait 27 paires de lunettes et elles étaient pratiquement toutes utilisées, précise Amandine Marco. Ce soir, on peut avoir des demandes de spectateurs qui n’ont pas réservé, notamment des anglophones parce qu’on propose la version en anglais de la pièce. » Ce Macbeth joué en français est en effet surtitre dans l’anglais du texte écrit par William Shakespeare, ouvrant davantage encore l’intérêt de ce système.
Et après 2025 ?
Outre la Comédie-Française, le dispositif panthea.live est essentiellement déployé dans des théâtres des Hauts-de- France dans le cadre du projet Panthea Chrysalide qui a été financé pour 3 années dans le cadre de France 2030. « La subvention nous a permis de proposer le procédé dans plusieurs théâtres, de le déployer sur différents spectacles dans les Hauts-de-France, ajoute Hanna Lasserre, cheffe de projet. On travaille sur le logiciel pour développer davantage de fonctionnalités, dont le cumul surtitrage et LSF, ou LSF et description des sons, le changement de paramètres en cours de spectacle. On teste aussi les limites du système. » A cet égard, Panthea a travaillé l’adaptation d’un spectacle récemment joué au Théâtre National de Strasbourg (Bas-Rhin), Lacrima, en français, tamoul, anglais et langue des signes : « On peut activer l’audiodescription, le surtitrage et la LSF ensemble. On veut voir jusqu’à combien de langues, et aussi de comédiens sur scène ça fonctionne. »
La société propose également une diffusion sur tablette ou téléphone, avec réduction de luminosité pour réduire la gêne visuelle, ou sur le téléphone du spectateur. « Mais c’est un sujet polémique, poursuit Hanna Lasserre, parce qu’au-delà de la question de la luminosité, on peut regarder son téléphone pendant le spectacle et faire autre chose… » Spécialisée dans le surtitrage grand public du spectacle vivant, Panthea s’est intéressée à l’adaptation aux déficiences sensorielles grâce à des théâtres partenaires, et c’est sur eux que reposera dans 18 mois le maintien de ce service aux spectateurs déficients auditifs, visuels ou étrangers. « A partir de 2025, conclut Hanna Lasserre, il faudra que les théâtres trouvent ou dégagent le financement. Le coût pourrait être mutualisé pour les spectacles en tournée, ou qui ont un enjeu de langue, un engagement de responsabilité sociale. Ca n’est pas facile à mettre en place, d’autant plus qu’avec les coupes budgétaires on ne sait pas comment les théâtres vont pouvoir investir dedans. Mais cela normaliserait l’accès au théâtre, et c’est un puissant outil pour attirer et fidéliser le public ! »
Laurent Lejard, mai 2024.
Pour tester ces lunettes connectées, Macbeth est représenté à la Comédie Française jusqu'au 20 juillet et il reste des places pour de nombreuses dates. A Lille (Nord), elles sont disponibles pour La Chauve-Souris représenté à l'Opéra du 4 au 11 juin. Et lors du festival d'Avignon pour Lacrima du 1er au 11 juillet, si la production a réservé un quota de places pour les spectateurs déficients sensoriels.
Avec le soutien de la Fédération Française de l’Accessibilité