Question : Vous venez de publier aux éditions Panthéon un ouvrage très particulier, un dialogue entre vous et votre double sourd. Quel a été votre parcours pour écrire ce livre ?

Catherine Tetart : C’est une très belle aventure qui n’était pas du tout préméditée. Je n’ai pas rédigé ce livre comme si je m’étais dit « un jour j’écrirai, je parlerai de ce sujet, etc. » Il s’avère que j’ai des difficultés d’audition sévères depuis une bonne douzaine d’années, dont je n’avais jamais parlé. Je suis reconnue travailleur handicapé, mais je ne l’avais jamais partagé, en particulier dans mon environnement professionnel. Et ce livre est sorti comme un cri du coeur qui avait besoin de jaillir après douze ans de chape de plomb sur un sujet qui était lourd à porter. Il est sorti sous forme de dialogue parce que j’ai ressenti le besoin d’externaliser cette surdité, dialogue entre ce que j’appelle ab-surdité parce qu’elle est absurde (au quotidien c’est un vrai fléau) et moi-même qui avance dans mon cheminement grâce à cette conversation.

Question : Au début ce n’est pas vraiment un dialogue, c’est une révolte, une rébellion contre ce double sourd…

Catherine Tetart : C’est clair que je lui en veux beaucoup d’être dans ma vie, d’avoir débarqué de façon pas inattendue parce que cette surdité est héréditaire. Je me doutais qu’il était probable qu’un jour ça me tombe dessus, c’est un handicap apparu à partir de 40 ans et qui va en se dégradant, dont les perspectives d’évolution sont malheureusement très inquiétantes si je regarde ce qui se passe avec ma mère et mes grands-parents. Oui, c’est un handicap que je n’assume pas, avec lequel j’ai vraiment du mal à vivre. Donc forcément, au début du dialogue il y a beaucoup de colère, de souffrance, de « qu’est-ce que tu fais dans ma vie, pourquoi t’es là ? » Ça devait sortir et c’est ce qui a été intéressant pour moi. Ce n’est pas une thérapie mais quasiment un auto-coaching où, en dialoguant, en posant des questions, en réfléchissant, j’arrive progressivement « à me réinventer », en tout cas à mieux composer, mieux vivre, mieux assumer ma surdité.

Question : En sachant que vous risquiez de développer une surdité progressive, vous vous êtes quand même engagée dans des métiers de communication ?

Catherine Tetart : J’ai une formation en ressources humaines et j’ai été DRH dans un grand groupe avec un poste à fortes responsabilités. Dans l’exercice de mes fonctions, très clairement ça devenait compliqué : DRH, c’est un peu le bureau des pleurs, les gens viennent vous raconter leurs soucis, etc., et une fois sur deux je me disais « ton secret sera bien gardé parce que je n’entends pas ! » Encore une fois, je ne voulais pas le dire aux gens, je vivais très mal ça. C’était compliqué en tant que DRH, et ça l’est encore plus aujourd’hui puisque depuis huit ans je suis coach de dirigeants et d’équipes de direction, mon métier est basé sur l’écoute, l’échange, les questionnements sur l’interaction avec les gens. Évidemment, quand on se dit « mais elle est sourde, c’est quoi le sujet ? », ça paraît complètement fou. En même temps, je suis appareillée des deux oreilles, mais ça reste très compliqué : en accompagnement collectif, il faut que je me concentre davantage, en individuel je suis consciente que parfois il y a des choses qui m’échappent, je n’ai pas l’acuité que je pourrais avoir si j’avais toute mon audition. Pour autant, j’avais cette envie, cette passion, cet intérêt pour les gens, et c’est vraiment le fait d’interagir et d’être utile qui m’anime au quotidien. Je ne voulais pas renoncer à ces carrières de DRH et de coach que je continue à assumer comme je peux, avec ma défaillance, ma vulnérabilité, et peut-être en pouvant apporter un autre regard. Je me dis que ce livre, finalement, avec les retours des lecteurs, est utile pour d’autres qui se disent « moi j’ai un handicap physique invisible », d’autres ont des difficultés à avoir confiance en eux, à prendre la parole en public, et finalement chacun peut explorer les pistes pour essayer de surmonter ça.

Question : Dans le contact professionnel et personnel, amical, avec des cadres dirigeants d’entreprise, quelles sont leurs attitudes ? De la bienveillance, de la demande absolue de résultats, un désintérêt de votre situation personnelle ?

Couverture du livre Dialogue de sourdes

Catherine Tetart : Jusque là, personne n’était au courant, et de très nombreux anciens coachés ainsi que des gens avec lesquels j’avais travaillé ont découvert au moment où j’ai publié mon livre que j’avais ces difficultés. Depuis, c’est différent. C’est assez amusant quand je rencontre les gens, je ne sais pas s’ils sont au courant, parfois ça sort au détour d’une conversation, quelqu’un me dit « oui, j’ai vu sur LinkedIn. » Pour l’instant, ce que ça provoque est plus de la reconnaissance et de l’admiration, je le dis en toute humilité parce qu’encore une fois ce n’était pas du tout l’objectif. Mais c’est vrai que les gens se disent « ça ne se voit pas, je ne l’ai pas remarqué, tu es une très bonne professionnelle, tu fais bien ton boulot et finalement je ne me rends pas compte que t’entends pas complètement tout ce que je te dis. » Donc, pour l’instant, ça se passe bien encore.

Question : Vers la fin de votre ouvrage, on lit une une forme d’apaisement et de réconciliation avec ce double sourd qui vous torture au début. Vous êtes sur la voie de l’acceptation ?

Catherine Tetart : Je pense que cet ouvrage l’aura permis, et ce dialogue, et cette conversation un peu comme un coaching, ce ping-pong entre le coach et le coaché. On visite, on explore différentes pistes, on se met en question, on s’interroge. J’ai fait ce travail, en fait, dans cette conversation avec ma surdité. Effectivement, c’est un peu la courbe du deuil, du changement. On part de beaucoup de colère, et puis on arrive à une forme d’acceptation. Une forme, parce que je n’accepterai jamais véritablement, mais comme n’importe qui auquel il arrive quelque chose de pas sympa, on se dit « pourquoi moi ? » et ça aurait été mieux si ça n’avait pas existé. C’est comme ça, et je n’ai pas d’autre choix quelque part que d’accepter. Ce livre, je pense, m’aura permis davantage d’assumer.

Laurent Lejard, octobre 2024.

Dialogue de sourdes, par Catherine Tetart, Éditions du Panthéon, 14,90€ imprimé ou 9,99€ en numérique.

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