En ce début 2005, deux associations françaises (Valentin Haüy et le Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes) ont décidé de lancer, seules, le livre numérique Daisy sur le marché national. Les éditeurs de livre papier, dont quelques-uns (Gallimard notamment) publient également en « sonore », n’ont pas été associés à la démarche. Il en est de même des bibliothèques sonores alimentées par des associations locales ou nationales, telle Les Donneurs de Voix. En fait, le monde de l’édition adaptée est suspendu à la transposition en droit national d’une Directive Européenne sur le droit d’auteur (lire cet article paru en 2003) qui permet d’instaurer une exception de transcription sonore ou numérique de livres papier : des associations dûment habilitées pourraient réaliser sans autorisation préalable de l’éditeur une version braille, sonore ou numérique d’un ouvrage nouvellement paru. En fait, la Directive devait être transposée avant le 22 décembre 2002 ! Les changements successifs de Ministre de la culture, en 2002 et 2004, ont été fatals au processus de transposition sur lequel l’actuel titulaire de la fonction, Renaud Donnedieu de Vabres, estimait le 29 novembre 2004, lors de la réunion de la commission plénière Culture et Handicap, qu’il fallait « trouver un système qui fonctionne plus naturellement » que la simple constitution d’un Groupement d’Intérêt Public de l’Edition Adaptée. Dans ce contexte attentiste, le lancement de Daisy en France prend un relief particulier.
Daisy (Digital accessible information system) est entrée dans le vocabulaire des déficients visuels il y a neuf ans, lors de la création d’un consortium international portant sur la naissance d’un format de livre numérique adapté. Nous étions alors en plein boum technologique et la « bulle Internet » gonflait constamment. L’an 2000 l’a fait exploser, entraînant dans sa chute les appareils lecteurs de livre numérique, dont un au moins avait été adapté aux déficients visuels (Cybook de Cytale). Depuis, un standard de son numérique s’est imposé, M.P 3 : ce format de compression, qui permet de multiplier par 10 la durée d’enregistrement d’un C.D audio, a été créé comme un compromis entre la qualité du son et la vitesse de téléchargement. Le format M.P 3 s’est rapidement retrouvé parmi ceux qui sont reconnus dans les lecteurs portables, dont les modèles les plus récents sont particulièrement miniaturisés. M.P 3 est très utilisé dans les échanges « Peer to peer » (d’utilisateur à utilisateur), légaux comme illégaux, et sur de nombreux baladeurs C.D audio. Si la qualité sonore M.P 3 est inférieure à celle d’un enregistrement au format Wave, sa diffusion et sa popularité en font un véritable standard international.
C’est ce format de compression qu’utilise Daisy, mais la compatibilité s’arrête là pour des raisons techniques : les plages portent des noms de série qui sont lus dans un ordre établi par une feuille d’indexation réalisé en X.M.L, un langage de programmation. Sans possibilité de lire cette page, ce qui est le cas des lecteurs M.P 3, les plages seront lues dans l’ordre de leur gravure, qui diffère souvent de l’enchaînement logique du texte. Les deux avantages spécifiques aux lecteurs Daisy résident dans la capacité d’accélérer la vitesse de lecture sans déformer la voix, à la manière des synthèses vocales utilisées en informatique, et dans le marquage de signets sur des disques : l’appareil mémorise des centaines de signets pour des centaines de disques différents. Cette fonction apporte un réel confort aux élèves, étudiants et chercheurs qui peuvent retrouver très rapidement une définition, un paragraphe ou autre passage utile.
En revanche, les inconvénients de Daisy sont nombreux. Le format est propriétaire : pour créer du Daisy il est nécessaire d’acheter un progiciel d’un prix élevé, fourni par un Consortium pour lequel l’adhésion coûte 2.500$. Les associations locales de donneurs de voix pourront- elles s’acquitter de ces droits d’entrée ? L’indexation permet théoriquement une lecture paragraphe par paragraphe, mais elle dépend étroitement de la réalisation technique d’une tâche qui prend du temps et que le donneur de voix bénévole n’effectuera pas forcément. Les logiciels de lecture Daisy sur ordinateur sont disponibles uniquement en anglais, ce qui s’avère gênant pour l’interface vocale. L’A.V.H espère réaliser chaque année 1.000 ouvrages au format Daisy, à partir de 2006; il lui faudra plus de six ans pour offrir autant d’ouvrages que son actuelle bibliothèque sonore, et 27 ans pour égaler l’offre de livres en braille (on remarque également que le format Daisy employé ici ne permet pas une transcription braille) ! Les appareils de lecture coûtent cher (300 à 400 €). Pour contourner cet obstacle, l’A.V.H et le G.I.A.A ont fait appel au mécénat pour financer une centaine d’appareils en 2004, laissant 100 € à la charge de l’utilisateur, qui doit justifier de son handicap.
Les deux associations affichent l’objectif d’équiper 60.000 déficients visuels d’ici 2008, ce qui représente 12 millions d’euros de mécénat à trouver. « Notre grand échec, constate Françoise Madray- Lesigne, secrétaire générale de l’A.V.H, ce sont les pouvoirs publics ». L’Etat refuse en effet de s’engager dans l’aventure : la Direction du Livre et de la Lecture du Ministère de la culture a royalement accordé une subvention de 5.000 €. Mais peut- être le Ministère s’interroge-t-il sur la viabilité d’un système d’accès à la lecture qui est cher pour des avantages utiles à une minorité d’auditeurs alors que M.P 3 est gratuit et tant à devenir universel. Ou bien préférerait-il une réelle coordination entre tous les acteurs de l’édition adaptée, histoire d’éviter que l’on trouve les mêmes ouvrages dans des formats sonores différents réalisés par des organisations qui s’ignorent entre elles. Un véritable chantier politique, qui n’a pas mobilisé les associations d’aveugles et de malvoyants lors du débat sur la loi d’égalité des droits et des chances, alors qu’elles ont été assez virulentes en matière d’audiodescription d’émissions de télévision. Décrire la Star’Ac serait-il plus vendeur que le dernier prix Goncourt ?
Laurent Lejard, janvier 2005.