Sur la scène au fond noir, des gradins forment une demi-arène dans laquelle évoluent quatre comédiens, dont deux vivent avec un handicap invisible, et un guitariste. Et tout part en fiesta entrecoupée de récits autobiographiques, de digressions loufoques, d’envolées poétiques. Mais qui a vraiment vécu ce que chaque comédien raconte : lui ou un autre ? On ne le sait pas, le spectateur est au défi de repérer qui est handicapé ou valide, les rôles sont interchangeables. Là est la clé de Personne n’est ensemble sauf moi, spectacle dynamique de théâtre documentaire élaboré par Clea Petrolesi pendant un travail au long cours.

« C’est un projet qui est né d’ateliers que je donnais dans le cadre du programme Phares [de l’ESSEC Business School de Cergy, dans le Val d’Oise]. Il a pour vocation d’accompagner des élèves en situation de handicap dans la manière de pouvoir rêver leur orientation et leur avenir. Ce qui est chouette, c’est qu’il y a beaucoup d’heures dédiées au théâtre, il n’est pas considéré comme un petit agrément genre on va faire deux heures et c’est bon, on a fait théâtre. Ce programme dure une semaine deux fois par an pendant des vacances, et les accompagne de la 3e à la terminale. Des vrais liens se créent, des progrès qu’on voit dans la manière de s’exprimer, de bouger et de rêver le monde, de poétiser les choses. »

Félix Omgba dans Personne n'est ensemble sauf moi ©Caroline Gervay

L’un des comédiens le plus remuant des représentations données au Théâtre du Point du Jour, à Lyon, Félix Omgba, a intégré Phares en entrant en 3e, il y a plus de six ans : « Le théâtre, ça ne me plaisait pas à la base, parce que ça prenait du temps et je ne pouvais plus aller jouer avec mes potes. Progressivement, j’ai appris à parler avec les gens du programme Phares, ça m’a permis aussi de sortir de ce que je connaissais, de me montrer un autre univers qui pouvait exister, d’autres voies possibles. J’ai commencé à m’intéresser aux moments d’improvisation quand on m’a parlé d’un spectacle de fin d’année. » Son intégration au programme lui a permis d’ouvrir son horizon puis de rejoindre le groupe de comédiens valides-handis du spectacle.

Depuis son audition il y a deux ans par Clea Petrolesi pour intégrer le groupe, Guillaume Schmitt-Bailer est entré au Conservatoire National d’Art Dramatique. « Il m’a changé, exprime-t-il au sujet du spectacle. Il bouleverse ce que j’ai appris en cours de théâtre, un milieu qui est quand même très bourgeois où on nous apprend à faire du beau, à bien parler, avec une approche très technique. Alors qu’ici on va chercher une honnêteté et une sincérité, le rapport au jeu est complètement changé, vraiment avec le coeur. On est ensemble, et c’est vraiment une richesse incroyable. » Et sur un texte très écrit où l’improvisation est venue dans le travail de préparation : « Le texte est vraiment écrit à la ligne près, les silences sont écrits, les chorégraphies aussi. La part d’improvisation est dans des moments particuliers, un peu solos où on peut prendre un peu plus de liberté et s’approprier, chacun, chacune, un passage individuel. »

Guillaume Schmitt-Bailer, Clea Petrolesi et Félix Omgba

Comment ce groupe est-il parvenu à la confusion des rôles qui fait qu’on ne voit plus les handicaps ? « Ma première expérience de spectatrice, intervient Clea Petrolesi, c’était Le malade imaginaire mis en scène par Philippe Adrien au Théâtre de la Tempête avec la compagnie du 3e Oeil. Retrouver ces corps singuliers et toute la poésie qui va avec m’avait bouleversée à l’époque. Artistiquement, la mixité a du sens. Le théâtre est un miroir du monde, on ne va pas en ignorer une partie. »

Laurent Lejard, mars 2025.

Personne n'est ensemble sauf moi ©Emile Zeizig

Personne n’est ensemble, de Clea Petrolesi et la compagnie Amonine, en tournée française jusqu’au 27 mai (dates en Agenda) puis au Théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes, du 9 au 19 octobre 2025.

Avec en alternance selon les représentations Lea Clin, Félix Omgba, Marine Déchelette, Floriane Royon, Guillaume Schmitt-Bailer, Kerwan Normant, Oussama Karfa, et les guitaristes Noé Dollé et Côme Luquet.

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