La complexité des aides publiques ne connaît pas d’exception, et il faut être soi-même expert pour s’en sortir par le haut. Tel est l’enseignement des péripéties vécues par Jacqueline Talpin, 67 ans, retraitée de la fonction publique, et engagée dans des activités associatives. Contrainte de se déplacer en fauteuil roulant depuis une ischémie médullaire survenue après ses 60 ans, elle a voulu alléger l’effort imposé à ses épaules en s’équipant d’une 3e roue motorisée. Le revendeur le plus proche de chez elle, qui réside à Fay-de-Bretagne (Loire-Atlantique), lui a présenté des matériels tout en l’informant de l’aide de l’État au titre du bonus vélo : une subvention de 2.000€ pour l’achat d’une 3e roue, sans condition de revenus pour les acquéreurs handicapés. Cette aide a convaincu Jacqueline Talpin d’opter pour un modèle tout chemin à 6.500€, qui ne laissait « que » 4.500€ à sa charge ; devenue handicapée motrice après ses 60 ans, elle ne pouvait demander la Prestation de Compensation du Handicap, ce qui fait d’ailleurs qu’elle doit payer de sa poche la majeure partie de ses aides humaines au domicile. « J’ai pu tester ce matériel, et l’aide de 2.000€ m’a confortée, pour avoir plus d’indépendance, sans prendre la voiture, me promener comme si j’étais à vélo. »

Les décisions de l'ASP

Elle monte le dossier nécessaire, déposé auprès de l’Agence des Services et de Paiements qui lui adresse une réponse positive le 12 septembre 2023 : « Votre dossier est conforme. Vous recevrez dans les prochains jours, une notification d’attribution de l’aide demandée. » Et les 2.000€ lui sont versés dans la foulée. Douche froide deux mois et demi plus tard : l’aide lui est finalement refusée et l’ASP procède immédiatement à la saisie des 2.000€ sur son compte bancaire : « Vous n’êtes pas éligible au dispositif, de par le fait que la 3eme roue motorisée n’est pas conforme au décret [du 12 février 2024]. En effet, seules les 5emes roues (système accroché au cadre d’un fauteuil roulant qu’il propulse au moyen d’une manivelle) sont éligible au dispositif BONUS. » Cette sentence, fautes de syntaxe incluses, est signée par le président-directeur général de l’ASP. Certes, 3e ou 5e roue sont deux appellations des mêmes produits : une grosse roue sur fourche accrochée au fauteuil roulant et le basculant légèrement vers l’arrière pour que les petites roues ne touchent plus le sol ; la propulsion est alors assurée par un mainalier (pédalier pour les mains) actionnant la roue au moyen d’une chaîne, ce système pouvant être complété par un moteur électrique amplifiant l’effort des bras. Certains modèles sont uniquement motorisés, sans mainalier et avec guidon, c’est celui choisi par Jacqueline Talpin sans que le vendeur ne l’informe de son non-subventionnement. Quelque part, c’est logique : même le P-DG de l’ASP s’y perd dans son motif de refus ! Il aurait dû consulter son propre site web qui réfère à l’article R.311-1 du code de la route.

De ces 3e roues, celle qui n'a pas de mainalier ne peut bénéficier de l'aide à l'achat

Cet incident n’aurait pas dû arriver à Madame Talpin : « J’ai fait ma demande de bonne foi. L’ASP m’a conseillée pour remplir le dossier. Il a fallu faire immatriculer cette 3e roue pour la formalité, le revendeur avait d’abord marqué trottinette entraînant un premier refus par l’ASP, suivi d’une rectification du vendeur et du renvoi du dossier avec facture. L’ASP avait tous les éléments. » Et elle a bel et bien versé la subvention avant de tenter de la récupérer brutalement quelques semaines plus tard.

Jacqueline Talpin n’en restera pas là. D’abord parce qu’elle a mis la saisie en échec (ce que sa banque a néanmoins facturé 90€) et qu’elle a saisi le tribunal administratif. Le vendeur devrait, pour sa part, échapper à des poursuites pour manquement à son obligation d’information et de conseil : c’est un professionnel qui est tenu de connaître ce qu’il vend et les dispositifs de financement existants, dans la mesure où ils déterminent l’acte d’achat. En attendant la décision de justice, Madame Talpin rembourse les 2.000€ par échéancier, mais comme le quotidien Ouest-France a consacré un article à sa mésaventure, d’autres personnes l’ont contactée. Et un monsieur lui a raconté la même mésaventure, à une différence près : il avait monté en parallèle un dossier de Prestation de Compensation du Handicap pour aide technique qui a couvert la totalité du coût de sa 3e roue motorisée, la subvention de l’État n’étant qu’un « bénéfice » temporaire qu’il a dû rembourser.

Laurent Lejard, janvier 2025.

PS : cette subvention d’Etat ne pourra plus être demandée à partir du 15 février 2025, le Gouvernement ayant décidé sa suppression

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