Pour ses 30 ans, Camille Ollier est devenue, en septembre dernier, docteure en biologie marine à La Rochelle Université (Charente-Maritime). Elle rejoint ainsi la dizaine d’étudiants sourds ayant obtenu un doctorat soutenu dans leur langue. « Mon parcours scolaire a été différent selon les périodes, se souvient-elle. En primaire, j’ai bénéficié d’un accompagnement des élèves Sourds en inclusion. J’avais un professeur qui parlait et un professeur spécialisé en LSF m’accompagnait pour s’assurer que je comprenne bien. Au collège, la majorité du temps je suivais les cours en lisant sur les lèvres, et pour certains cours j’avais aussi des professeurs spécialisés en LSF pour m’accompagner. Au lycée, j’étais la seule Sourde, je suivais tous les cours en lisant sur les lèvres, parfois c’était difficile. J’avais des AVS et des professeurs spécialisés en LSF pour prendre des notes ou me réexpliquer quand je ne comprenais pas. J’avais aussi des heures de soutien presque pour chaque matière avec le professeur entendant, on communiquait à l’oral. Et à la fac, j’ai bénéficié d’interprètes pour quelques cours, avec un volume horaire limité, il fallait que je sélectionne, des choix stratégiques à faire. » Née à Rennes (Ille-et-Vilaine) d’un père Sourd et d’une mère entendante, elle a grandi dans un environnement bilingue.
Qu’est-ce qui l’a conduite à étudier la biologie marine ? « J’étais passionnée de sciences dès l’enfance, petite je voulais être vétérinaire. Puis je me suis dirigée naturellement vers la biologie marine, l’analyse et la recherche. » A la différence de nombreux étudiants sourds, ce n’est pas sur la culture et l’histoire sourde qu’elle a voulu travailler, avouant son moins d’appétence probablement due à son inclusion à 100% avec les entendants. Mais comment s’est déroulé son travail de recherche ? « J’ai préparé ma thèse au CNRS, près de La Rochelle. Pour le travail, ça se passait bien. J’ai pris un interprète pour la spécificité et les réunions avec le directeur de thèse, outre la lecture labiale en face à face, et avec les deux autres encadrants dont un Anglais. Là, on faisait venir un interprète en American Sign Language (ASL) pour les visioconférences. »
Ce qui entraînait une certaine rigidité : « On devait prévenir les interprètes un mois à l’avance, alors qu’il fallait parfois organiser rapidement des réunions rapides. Il a fallu 20 heures d’ASL et 50 heures de LSF. Quand j’avais besoin d’un interprète ASL, c’est le CNRS qui le payait, mais si c’était dans le cadre de la formation diplômante, il y avait un crédit d’heures financé par l’Université de La Rochelle. » Cela ne lui a pas évité une charge de travail supplémentaire pour gérer l’ensemble, alors qu’au CNRS le référent handicap a changé cinq fois : « Il fallait me réadapter, on se voyait peu, on communiquait surtout par courriel. Et l’administratif et l’organisationnel entraînaient une charge mentale supplémentaire, avec les demandes de devis, trois plannings à coordonner, penser au décalage horaire, gérer tout ça n’était pas évident. J’espère que ça s’améliorera dans le temps, pour alléger la pression et le stress. » D’autant qu’en dehors du travail de recherche, elle déplore la difficulté de s’intégrer dans les conversations amicales. « Pendant les pauses, je restais seule au bureau, mais la communication était plus facile avec certains que je privilégiais. »
Un vocabulaire à créer
Est arrivé le moment de la soutenance en LSF de sa thèse. « J’en ai parlé avec le directeur de thèse, qui n’était pas opposé. Bien en amont, j’ai choisi un interprète que je connaissais bien. Lors de la soutenance, ça n’a été compliqué ni pour le jury ni pour moi, grâce à un long travail de préparation, pour une interprétation fluide. Le jury était informé, de la LSF, de l’interprète. » Il lui aura également fallu traiter le sujet épineux du vocabulaire scientifique lacunaire : « Quand je suis arrivée, il y avait énormément de termes n’existant pas en signes, c’était perturbant. J’ai réfléchi avec les experts scientifiques et linguistiques de STIM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) sourd France, que j’ai co-fondé, pour créer des signes, avec une organisation afin de définir ce vocabulaire.
On a échangé pour réfléchir et créer les signes, créer et valider en collectif, puis les filmer. Tout le vocabulaire n’est pas complet, on enrichit la LSF. Il n’existait pas de vocabulaire spécifique en ASL dans mon domaine de recherche, je devais donc le créer en LSF. Dans le domaine scientifique, on a besoin d’utiliser des signes assez rapidement, on les crée directement lors de séminaires entre scientifiques et interprètes, sans validation nationale. On est ouvert aux contributions et propositions, on est dans le consensus en formulant nos propositions.
A terme, ils pourraient devenir devenir des signes courants, reconnus. Des journalistes sourds peuvent avoir besoin de regarder nos signes, ils peuvent se diffuser et être normalisés, cétacé par exemple. L’interprète a épelé le mot béluga, parce que le signe n’est pas diffusé partout. » A cet égard, si la base Elix propose deux définitions du mot français, variété d’esturgeon et mammifère marin, les signes correspondants n’existent pas.
Camille Ollier va pendant encore quelques semaines travailler dans le même laboratoire de recherche, à La Rochelle. « Après, je vais chercher du travail dans le même domaine pour suivre les grands prédateurs marins, en post-doctorante, chargée de mission scientifique en France ou à l’étranger. J’envoie des candidatures un peu partout, sans mentionner que je suis sourde mais en mentionnant ma compétence en LSF. En France, on peut identifier le handicap avec la mention RQTH sur le CV, sinon je préfère ne pas le dire pour être prise sur mes compétences. »
Laurent Lejard, janvier 2025.
Avec le soutien de la Fédération Française de l’Accessibilité